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l’assemblée donne aux juifs la possibilité d’être admis à toutes les fonctions publiques, la princesse se désole d’un semblable décret. « Il était réservé à notre siècle, s’écrie-t-elle avec amertume, de recevoir comme amie la seule nation que Dieu ait marquée d’un signe de réprobation ! » Ainsi donc, on ne le voit que trop bien, il ne faut point demander à Mme Élisabeth l’intelligence des idées nouvelles. La sœur de Louis XVI n’en est pas moins une figure aussi touchante que sympathique. Bien que n’ayant pas au même degré que Marie-Antoinette le charme de la mélancolie et le prestige de la majesté, elle attache par sa modestie, sa douceur, son caractère simple et naïf. Montrant sur les marches du trône toutes les vertus privées et tous les sentimens de famille, elle a plus qu’aucune autre femme la qualité suprême, la bonté. Marie-Antoinette est une Allemande à l’imagination rêveuse et poétique ; Mme Élisabeth, nature prosaïquement vertueuse, est une Française, unissant parfois la gaîté au calme et au courage. Sans avoir les élans sublimes, la fierté d’attitude et de langage de la fille de Marie-Thérèse, elle exerce sur l’âme un charme réel, et, placée au second plan, dans le demi-jour, elle y brille d’un éclat qui, pour ne point éblouir les yeux, ne les pénètre pas moins d’une douce lumière.

Mme Élisabeth, née le 3 mai 1764, n’avait que six ans à l’époque de l’arrivée de Marie-Antoinette en France. La première fois qu’elle vit sa jeune belle-sœur, la dauphine s’attachait à cette nature un peu sauvage, qu’elle espérait apprivoiser. Elle lui trouva « un air déterminé et doux en même temps. » On ne pouvait mieux juger ; ce mélange de détermination et de douceur sera en effet le trait caractéristique de l’âme de la princesse. La dauphine avait vu du premier coup d’œil que cette enfant « brusque, emportée, volontaire à faire peur, indocile à toutes les remontrances, » deviendrait une femme accomplie. C’est à la religion que Mme Élisabeth fut redevable du changement qui se produisit en elle. En 1778, elle voulait se faire carmélite. Depuis le départ de sa sœur Clotilde, qui venait d’épouser le prince de Piémont (devenu plus tard roi de Sardaigne), elle se sentait comme isolée au milieu du tumulte de la cour. Sombre, retirée en elle-même, ne cessant de pleurer, elle ne désirait plus que les austérités du cloître, et, sans la vive opposition de son frère et de la reine, elle aurait certainement pris le voile.

Son cœur aimant et tendre chercha des consolations dans l’amitié. Elle en comprenait tout le charme et toutes les saintes délicatesses. Bienfaitrice de ses deux meilleures amies, Mlle de Causan et Mlle de Mackau, devenues, l’une marquise de Raigecourt, l’autre marquise de Bombelles, elle leur savait gré à toutes deux du bien qu’elle leur avait fait. Pour doter Mlle de Causan, elle se fit avancer pour cinq ans par le roi les 30,000 livres d’étrennes qu’elle en recevait annuellement ; grâce à cette somme de 150,000 livres, son amie, bien mariée, put rester auprès d’elle. Et quand, au retour de chaque année, on parlait d’étrennes « Moi, je n’en ai pas encore, s’écriait gaiment la princesse, mais j’ai ma Raigecourt ! » Lorsque