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la puissance de la force brutale, et l’opinion presque unanime de l’Europe nous donne ce dernier parti pour allié. Le système sur lequel ce parti est fondé est, suivant moi, essentiellement erroné. Il n’y a dans la nature de force motrice que l’esprit ; tout le reste est passif et inerte. Dans les affaires humaines, cette force est l’opinion ; dans les affaires politiques, c’est l’opinion publique. Quiconque mettra la main sur cette force subjuguera le bras de chair de la force physique et le contraindra à exécuter ses volontés. » Cette profession de spiritualisme politique fit de lord Palmerston le ministre des affaires étrangères du parti whig. Sauf de courts intervalles, de 1831 à 1852 la politique étrangère de l’Angleterre, sous la sanction de cette profession de foi, fut abandonnée à lord Palmerston comme une sorte de vice-royauté lointaine où son goût des affaires et son activité purent se donner libre carrière. L’Angleterre pendant ce temps, sous d’autres chefs, poursuivait le travail de sa réorganisation intérieure. Les autres, dans cette lutte, portaient et recevaient les grands coups. Lord Palmerston, confiné pour ainsi dire à sa mission extérieure, assistait à ce vaste et long débat sans infliger et sans subir de blessures, comme un neutre qui au besoin pourrait devenir un médiateur. À mesure que la tâche réformatrice approchait de la fin, la grande organisation des partis en Angleterre se dissolvait, comme les armées fondent à la guerre. Les partis se détraquaient, leurs chefs tombaient ou s’usaient. L’heure approchait où l’homme politique, qui, en étant toujours resté en évidence, avait été le moins compromis dans la lutte, devait acquérir l’influence prépondérante. Ce moment, lord Palmerston ne fit rien pour le précipiter. On ne saurait trop insister sur ce point et trop l’en louer, lord Palmerston ne courut point au-devant des choses ; il les laissa venir à lui avec une complaisante patience et une spirituelle modération. On est en 1853 ; on sort d’une courte administration tory, qui a fait craindre un recul dans le mouvement intérieur ; l’Angleterre croit qu’elle n’a qu’à se préoccuper dudedans, qu’à mettre en sûreté les conquêtes intérieures. Elle appelle au pouvoir tous les bons ouvriers qui ont contribué au grand ouvrage ; elle prend les whigs, elle prend les amis de Peel ; on fait le ministère de lord Aberdeen, et on se garde de laisser à l’écart un homme de l’importance de lord Palmerston. Celui-ci se prête à tout, il a le bon goût de se faire aussi petit que l’on veut ; il laisse à lord Russell le département des affaires étrangères et prend pour lui l’intérieur. Survient l’imprévu, la question d’Orient, la guerre. Les Anglais, depuis si longtemps occupés de leur ménage, n’étaient plus outillés pour ces échauffourées extérieures. Ils n’aiment point et ne comprennent guère ce qu’on appelle la politique du continent, le bavardage diplomatique, les mesquines intrigues de cour, les convoitises territoriales de nos potentats, les lamentations querelleuses de nos nationalités. Il leur faut un homme qui se charge de débrouiller pour eux ce chaos et de conduire tant bien que mal à travers ce vacarme le vaisseau britannique. En 1855 dans les soucis de la guerre d’Orient, en