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l’Angleterre actuelle, avec cette rénovation sociale et cette vivace activité d’esprit, de commerce et d’industrie où elle se complaît de plus en plus. Un grand cycle de près d’un demi-siècle a été ainsi parcouru. Au bout de cette œuvre, les griefs graves, ceux qui excitent les protestations passionnées des grands esprits et des grands cœurs, ceux qui vont allumer au sein des masses les soulèvemens irrésistibles, ont fait défaut aux défenseurs des causes populaires. Il fallait une halte, et c’est lord Russell qui donnait, il y a deux ans, la formule de cette situation, dominée par une lassitude satisfaite, avec les mots : Rest and be thankful (reposez-vous et soyez reconnaissans). C’est dans cet intervalle de repos et de satisfaction mutuelle que lord Palmerston et l’Angleterre s’étaient rencontrés et unis du merveilleux accord que nous avons vu.

Ainsi vont les choses humaines, ainsi revient sans cesse la vieille ritournelle : sic vos non vobis. Certes le nom de lord Palmerston n’apparaît dans aucune de ces grandes batailles de la politique intérieure dont l’heureuse issue a procuré à l’Angleterre les loisirs qu’elle savoure depuis quelques années avec tant de délices. Pendant cinquante ans, lord Palmerston a toujours été présent aux accidens de cette guerre : il les a vus d’une bonne place, et il a suivi d’un trot gracieux la phalange victorieuse ; mais jamais dans la lutte il n’a joué le grand jeu, jamais il n’a conduit la charge, jamais il ne s’est jeté à corps perdu dans la mêlée en ces grandes journées qui ont décidé des progrès politiques de l’Angleterre. Qui a gagné l’abolition du test pour les dissidens ? C’est lord John Russell. Qui a emporté l’émancipation des catholiques après les grands efforts de Pitt, de Grattan, de la forte école des whigs, de Canning ? Ce sont sir Robert Peel et le duc de Wellington. Qui a fait la réforme électorale ? C’est lord Grey et lord John Russell. Qui a opéré la réforme des corporations municipales ? C’est lord John Russell. Qui a accompli l’abolition des lois céréales ? C’est la persévérance et l’énergie de Cobden et de Bright, c’est l’unadorned eloquence de Cobden, c’est le coup de tête de lord John Russell annonçant à la nouvelle de la famine de l’Irlande qu’il abandonnait la politique de demi-mesures de son parti, le système du petit droit fixe sur l’importation des blés ; c’est la résolution héroïque de sir Robert Peel sacrifiant toute sa fortune politique à l’intérêt de la paix sociale de son pays. Qui a depuis développé et achevé la politique financière et économique de sir Robert Peel avec un éclat et un bonheur qui ont mis le comble aux jouissances intimes de la nation anglaise ? C’est M. Gladstone. Parmi les auteurs de ce bonheur domestique que l’Angleterre a partagé si complaisamment avec son dernier chef, jamais on ne voit en première ligne le nom de lord Palmerston.

Et pourtant il ne faudrait point être injuste envers lord Palmerston ; il était préparé par de rares aptitudes et une singulière habileté de conduite aux bonnes fortunes qui attendaient la fin de sa longue carrière. Qui eût dit au temps où les grandes luttes passionnaient les esprits que lord Palmerston serait jamais premier ministre et deviendrait l’homme de l’An-