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n’était pas inutile de songer aux épreuves qu’ont dû traverser ses devanciers.

Le demi-siècle où s’est écoulée la carrière officielle de lord Palmerston a été pour l’Angleterre une époque de profonde régénération intérieure. Nous ne pouvons point avoir la pensée de comparer l’Angleterre à la France. Les procédés des deux peuples sont radicalement différens : le progrès anglais s’accomplit par réformes, le progrès français par révolutions. Nous avons, nous, dans l’esprit le droit abstrait ; les Anglais ne regardent qu’au droit acquis, au privilège, et le progrès pour eux n’est que le développement plus raisonnable et plus équitable des privilèges. Cependant, si nous voulions rendre plus sensible le grand travail intérieur, politique et social accompli en Angleterre depuis 1815, nous serions conduits à le comparer en quelque sorte à l’œuvre que la révolution a produite chez nous. L’Angleterre, dans ses plus mauvais jours, au temps des guerres de l’empire, avait conservé la liberté, la liberté de la presse et la liberté parlementaire, — par conséquent les énergies individuelles et les énergies nationales que nourrit et développe la liberté de penser, de parler et d’écrire ; mais les institutions intérieures de l’Angleterre, au point de vue religieux, politique, municipal, économique, demeuraient encore, à la fin des guerres impériales, encombrées d’anomalies iniques, absurdes, incompatibles avec ce que notre siècle comporte de bon sens et d’esprit de justice. Il n’y avait partout que privilèges insensés et exclusions insupportables : privilèges religieux, qui excluaient de la vie politique les dissidens et les catholiques ; priviéges politiques qui, au profit des vieilles influences aristocratiques, excluaient de la représentation parlementaire la masse des classes moyennes et de vastes cités créées par la puissance de l’industrie et du commerce ; privilèges municipaux, qui livraient les administrations locales à d’antiques corporations fondées par les Stuarts ; privilèges économiques, qui assuraient des prix de monopole à diverses industries, et surtout à la propriété foncière, concentrée en un petit nombre de mains. Quand la liberté anglaise, la liberté de penser, d’écrire, de parler, de s’associer, de se réunir, fut affranchie de la diversion des guerres impériales, elle se mit à faire aux privilèges absurdes et aux monopoles iniques une guerre opiniâtre où le bon sens et la justice ont fini par triompher. Un jour on obtenait l’abolition du lest, de l’exclusion qui frappait les dissidens ; un autre jour on emportait l’émancipation des catholiques ; une fois, et nous pouvons dire sans fausse gloire que notre révolution de juillet n’a point nui à ce triomphe, on faisait la réforme parlementaire ; une autre fois on réorganisait les corporations municipales ; on combinait dans le sens de ce mouvement tout un ensemble de lois non moins libérales, quoique moins retentissantes ; on remaniait les impôts contre le privilège, en faveur des classes laborieuses. Enfin on abolissait les corn-laws et l’on fondait la liberté du commerce.

De tout ce travail, terminé à peine depuis quelques années, est résultée