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compatriotes. Dans ces deux traits se résume le bonheur de la vie politique de cet homme éminent. On voudrait interroger les fées à qui lord Palmerston dut cette insolite et finale bonne chance.

Les Anglais sont devenus amoureux du bonheur qui a conduit et accompagné lord Palmerston au pouvoir suprême ; ce bonheur est un des principaux motifs de l’admiration qu’ils professent pour le ministre qui vient de mourir ; ils éprouvent aussi, c’est une justice à leur rendre, une satisfaction cordiale à songer que ce vétéran des affaires publiques a été heureux jusqu’à son dernier souffle. Il est étrange qu’ils ne recherchent point le secret de ce phénomène : ils le trouveraient aisément dans leur histoire contemporaine, dans les aptitudes et le caractère de lord Palmerston ; mais peut-être la découverte ne tournerait-elle point à la plus grande gloire de leur idole disparue. Le pouvoir depuis un siècle n’avait point été un lit de roses pour les politiques d’Angleterre. Une sorte d’austère mélancolie est mêlée à la destinée des plus grands de ces hommes d’état. Pitt meurt en apprenant Austerlitz ; à peine Fox a-t-il le pouvoir que la mort le lui ravit. L’homme médiocre sous lequel triomphe la politique étrangère de Pitt, lord Liverpool, s’éteint naturellement et obscurément à son poste de premier ministre ; mais celui de ses collègues qui avait le travail, le souci et la responsabilité des grandes affaires européennes, lord Castlereagh, se dérobe tristement par le suicide. Puis vient Canning : celui-là porte au front le rayon du génie ; il a formé le dessein de pousser l’Angleterre aux initiatives généreuses, il prête l’oreille aux plaintes de la liberté opprimée dans le monde, il veut émanciper les catholiques. Ses compatriotes nous le montrent succombant à la lutte, périssant à la peine, « traqué jusqu’à la mort » par une opposition conservatrice impitoyable. Sir Robert Peel accomplit avec une résolution intrépide la réforme commerciale à laquelle aujourd’hui l’Angleterre unanime se proclame redevable de sa prospérité et de sa concorde sociale. Quel est son salaire ? Son propre parti, dont il a bravé les préjugés, le renverse du pouvoir. Il végète quelque temps isolé, et le lendemain du jour où, à propos de l’affaire Pacifico, il a combattu dans un discours plein de probité et de sagesse la politique étrangère de lord Palmerston, il finit, sous les pieds de son cheval, dans une rue de Londres.

C’est, nous l’avouons, vers ce côté mélancolique des destinées politiques que la mort de lord Palmerston, comblé des faveurs de la fortune et comme bercé dans sa douce agonie par la sympathie de tout un peuple, a, parle contraste, appelé notre pensée. Les grands ouvriers meurent à la peine ; c’est au moment où ils ont rendu les plus vastes services qu’ils ont été souvent abreuvés des plus amères douleurs, et la mort même n’a pas toujours pu faire la paix des partis sur leur tombe. Il serait malséant et injuste de tirer de ce retour vers le passé une conclusion contraire à lord Palmerston ; mais, pour expliquer la bonne fortune de ce ministre privilégié et le bonheur même que l’Angleterre a aimé à partager avec lui, il