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il avait, dit-on, pris conseil des chefs de l’opposition tory, lord Eldon et Spencer Perceval. Lord Eldon fut chancelier dans le nouveau cabinet. Le vieux duc de Portland, qui avait commencé sa carrière par être le chef nominal d’un ministère whig, voulut la finir en l’étant d’un ministère tory. Il avait d’avance écrit au roi pour s’offrir à lui. Il fut accepté et premier lord de la trésorerie. On sait que lorsque ce poste est occupé par un pair du royaume, celui de chancelier de l’échiquier n’y peut être réuni, parce qu’il ne sort pas de la chambre des communes. Il revint de droit à M. Perceval. C’était, comme Pitt, comme Fox, le second fils d’un membre de la chambre haute, lord Egmont, et, ainsi que beaucoup de jeunes gens de sa condition, il avait commencé par le barreau; Pitt lui-même avait ainsi débuté. Quoiqu’il n’eût pas obtenu une grande éminence dans sa profession, Perceval, nommé procureur-général sous le ministère d’Addington, en avait été le plus utile défenseur. C’était un homme d’un honorable caractère, mais d’un esprit étroit et violent, qui n’avait guère d’un ministre que le talent de la discussion. Parfaitement agréable au roi par ses préjugés politiques et religieux, il les soutenait avec une vivacité mordante, une grande fécondité d’argumens, et toutes les ressources d’un debater consommé. Sans avoir pu jamais atteindre au renom d’un homme d’état, il resta jusqu’à sa mort le chef d’un cabinet où siégeaient pourtant Canning et Castlereagh; mais ces deux élèves de M. Pitt, encore jeunes, dès longtemps rivaux et bientôt ennemis, n’avaient peut-être qu’une opinion commune, ils étaient tous deux favorables aux catholiques. C’en était assez pour leur interdire le premier rang dans le gouvernement. La grande qualité de lord Castlereagh, c’était la solidité. Dénué de toute espèce de talent, il discutait froidement et pesamment mais il allait droit au but. Avec un esprit d’une étendue et d’une élévation moyennes, il avait un jugement sûr, une fermeté à toute épreuve, une dignité et un sang-froid inaltérables. Canning au contraire, du même âge que lui, mais destiné à rester toujours jeune, était par nature un homme de lettres, d’un talent facile, d’une facile imagination, mais qui, s’il ne fût resté qu’un écrivain, n’aurait jamais approché de la perfection. Il en approcha davantage comme orateur; du moins sa parole animée et brillante, hardie, passionnée même, charmait-elle ceux qui l’écoutaient sans les convaincre toujours. Élevé comme en serre-chaude par M. Pitt, gâté par le faible que ce grand ministre avait pour lui, agité d’une ambition hâtive, il portait une sorte d’inquiétude dans toutes les situations comme dans toutes ses idées, et aspirait toujours à quelque changement de fortune ou de politique qui ranimât son ardeur en flattant sa vanité. Aussi, avec tous les signes extérieurs de la supériorité, devait-il se voir constamment devancé par lord Castlereagh,