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la religion est intolérante et constitue un obstacle pour la science ; elle n’a pas de valeur absolue en elle-même. Ce qu’elle poursuit, ce n’est pas la vérité, c’est la victoire. Quand on veut vaincre à tout prix, on ne regarde pas beaucoup à la qualité des argumens. Les études hébraïques d’ailleurs sont des études de haute antiquité. Or Voltaire, qui traite des époques pleinement historiques avec tant de pénétration, n’entend rien à la haute antiquité. Toute l’école philosophique du XVIIIe siècle, si brillante dans l’ordre des sciences exactes, avait peu le sentiment de ces sortes d’études, qui supposent des qualités fort opposées à l’esprit mathématique. Je ne dis pas qu’au milieu de tout ce verbiage, étincelant d’esprit, qui rempli le Dictionnaire philosophique, l’Essai sur les mœurs, il n’y ait des détails traités avec bon sens ; mais rien n’est déduit d’une manière savante, les questions sont mal posées ce sont des à-peu-près de conversation, des vues rapides d’homme du monde, parfois justes, parfois hasardées, jamais fondées sur de solides recherches. L’auteur a raison fort souvent ; mais le ton général est mauvais. Hâtons-nous d’ajouter que ces fades plaisanteries, ce ton narquois. ces hypocrites protestations, ces traits à la dérobée, étaient les suites de l’intolérance du temps. Les seuls qui n’aient pas le droit de s’en plaindre sont les orthodoxes. On avait rendu la franchise et le sérieux impossibles ; on récoltait ce qu’on avait semé.

Après tout, ce n’est pas à nous qu’il appartient ici d’être sévères. Si Voltaire a fait de la pauvre exégèse, c’est grâce à lui que nous avons le droit d’en faire de bonne. En revendiquant la liberté de penser, il rendit en un sens plus de services à la science qu’en avançant la solution de telle question de détail. On fait rarement deux choses à la fois. Ceux qui fondent la liberté ne sont pas toujours ceux qui en usent le mieux. Ces hommes à qui nous devons le repos de notre vie et la paix de nos travaux ne firent faire aux études savantes aucun progrès. Le succès de Voltaire tua l’érudition en France ; les bénédictins arrêtèrent leurs publications faute de lecteurs. Dans l’ordre de recherches qui nous occupe en particulier, l’école philosophique ne fit pas de travaux sérieux, et par malheur n’en provoqua pas chez ses adversaires. On répondit à des enfantillages par des enfantillages, L’abbé Guénée a plus de savoir solide que Voltaire, mais aussi peu de critique. Formé à la chétive école des apologistes anglais, il ne sort pas des vétilles matérielles. Il prouve par des renseignemens pris chez un fondeur de Paris que Moïse put couler le veau d’or dans le désert ! Les questions capitales, l’âge des textes, le mode de rédaction, l’origine des renseignemens qui y sont consignés, ne se présentent jamais à lui.

Seule en France au XVIIIe siècle, l’Académie des inscriptions et belles-lettres aurait pu s’élever au-dessus de cette science mes-