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autorité. La France devient une nation composée de conservateurs aveugles et de spirituels étourdis. Rien n’égale la nullité où tombèrent à cette époque les études dont nous parlons. La Sorbonne continuait ses traditions séculaires d’hostilité contre les études historiques et philologiques. La chaire d’hébreu au Collège de France ne compte pas un seul titulaire de quelque mérite. Jean Goudouin, le seul qui paraisse avoir été habile, se garda de rien publier[1]. L’école janséniste, qui compta dans son sein tant d’hommes laborieux, n’aimait pas la Bible et fut toujours médiocre en philologie. La sotte ingérence de l’état dans les questions les plus purement scientifiques amenait de ridicules incidens. Quand Fourmont défendit les rabbins injustement attaqués par dom Calmet, Louis XIV, qui se laissait dire que nycticorax fut un roi d’Israël, et le cardinal de Noailles, qui sûrement ne savait pas un mot d’hébreu, intervinrent dans la question et imposèrent silence à Fourmont. Le jésuite Hardouin, l’évêque Huet, appliquaient à la Bible, l’un ses niaises et paradoxales chimères, l’autre son érudition dénuée de discernement et même de sincérité. La pitoyable méthode de Masclef et d’Houbigant corrompait jusqu’à la grammaire hébraïque, et rendait impossible toute étude sérieuse du texte hébreu, La grande autorité en exégèse de cette triste époque est dom Calmet. Il est difficile de concevoir plus de puérilité chez un savant homme. Calmet ignore précisément ce qu’il importait de connaitre, c’est-à-dire les langues orientales et les rabbins, que Simon possédait si bien, et qui, à cette époque, étaient indispensables à étudier. Sa crédulité dépasse toutes les bornes. Ses dissertations sur les démons, les vampires, les revenans, les dragons volans, comptent parmi les ouvrages les plus extravagans qui aient jamais été écrits.

Richard Simon ne laissa pas un seul élève, Dom Calmet en eut un ce fut Voltaire. Je ne plaisante pas. Voltaire puisa toutes ses connaissances bibliques dans dom Calmet. Il fit un quatrain pour son portrait[2], et contribua beaucoup à sa réputation imméritée. Dieu nous garde de médire de l’homme prodigieux auquel nous devons tant de reconnaissance! Voltaire n’est pas plus un savant et un critique qu’un philosophe et un artiste. Il est un homme d’action, un homme de guerre tout devient arme entre ses mains; mais on ne fait pas de bonne science, pas plus qu’on ne fait de grand art, avec la polémique. La polémique est bonne et nécessaire quand

  1. L’abbé Goujet, Mémoire historique et littéraire sur le Collège royal de France, t. 1er, p. 356 et suiv.
  2. La pièce vaut la peine d’être citée :

    Des oracles sacrés que Dieu daigna nous rendre,
    Son travail assidu perça l’obscurité
    Il fit plus, il les crut avec simplicité,
    Et fut, par ses vertus, digne de les entendre.