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Les questions de critique biblique ne commencèrent à se poser, en France du moins, qu’au XVIIe siècle. Le XVIe siècle eut bien assez à faire d’étudier les textes, de les établir, de les comprendre, de les traduire. Regretter de ne pas trouver chez les Vatable et les Mercier des vues saines sur les questions de critique biblique serait aussi déplacé que si l’on reprochait aux savans anglais de la Société de Calcutta de n’avoir pas aperçu la véritable chronologie de la littérature sanscrite et la valeur des Védas. Quelques esprits dépassant leur siècle, tels que Sébastien Castalion, arrivèrent, il est vrai, à des idées très avancées. Luther, dont la grande âme contenait le germe, obscur encore, de tout le génie allemand, fut parfois éclairé comme d’illuminations anticipées ; mais le calvinisme se montra plutôt contraire que favorable à ces études en mettant à la place de l’idée de l’église cette idée exaltée de la Bible qui a dominé et domine encore le protestantisme français orthodoxe. À ce point de vue, la Bible dut paraître un livre homogène, où tout fut divin jusqu’au dernier iota. Les consonnes et les voyelles furent tenues pour également inspirées, et peu s’en fallut qu’on n’érigeât en dogmes la divinité des points massorétiques et des accens. Tel était pourtant le principe de libre examen inhérent à la réforme que des pensées plus éclairées ne tardèrent pas à se faire jour. Les écoles de Sedan et de Saumur eurent de solides études d’hébreu. De ces écoles sortirent, dans la première moitié du XVIIe siècle, deux des hommes à qui la philologie hébraïque doit le plus de reconnaissance, Louis Cappel et Samuel Bochart.

Cappel se borna presque aux questions de lettres et d’alphabet ; mais ces questions étaient capitales. Le premier, il réduisit les points-voyelles à leur juste valeur. L’histoire des alphabets qui ont servi à écrire la Bible fut tracée par lui avec une parfaite sagacité. Ces. thèses, aujourd’hui élémentaires, soulevèrent des colères inouïes. Cappel fut traité de scélérat ; je ne sais quel théologien protestant appela sa '‘Critica sacrca'‘ la trompette de l’athéisme, '‘atheismi buccina, Alcorani fulcimentum, publica flamma abolendum'‘. Continuant malgré les anathèmes ses recherches excellentes, Cappel posa des principes féconds sur la comparaison du texte hébreu et des versions, sur le choix des variantes, sur la valeur de la lecture massorétique. Chose singulière, les protestans lui furent plus hostiles que les catholiques ; quelques-uns de ses travaux furent publiés par les soins de théologiens de l’église romaine. Dans la lutte des orthodoxies, on aimait mieux voir les hardiesses venir des adversaires. Nous verrons bientôt à l’inverse, Richard Simon beaucoup mieux accueilli des protestans que des catholiques et ses écrits, repoussés par ses coreligionnaires, publiés avec empressement par des théologiens réformés.