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crée des Hébreux avant Jésus-Christ; mais aussitôt qu’on se place à ce point de vue purement scientifique, on voit se poser une foule de questions plus graves les unes que les autres. Cette littérature est nécessairement l’image de la nation où elle a pris naissance. Jusqu’à quel point l’est-elle? Fruit de plusieurs siècles, cette littérature a dû se développer lentement, graduellement. Quelle a été son histoire depuis ses premiers rudimens jusqu’à ses jours de décadence ? Œuvre de Dieu en tant qu’elle porte l’empreinte de son esprit, elle n’est pas moins une œuvre humaine, soumise aux lois, aux conditions générales qui président à la vie littéraire et religieuse d’un peuple. De quelle façon, dans quelle mesure l’action de ces lois s’est-elle fait sentir ici? »

L’ouvrage où M. Kuenen a essayé de répondre à ces questions n’a pas besoin d’une autre recommandation que le nom de l’auteur[1]. M. Kuenen est professeur d’Écriture sainte à la faculté de théologie de l’université de Leyde. Il est l’une des gloires de cette grande école, à la fois si savante et si chrétienne, qui a pour chef le profond théologien M. Scholten[2]. La publication qu’il a faite de la version arabe du Pentateuque samaritain, ses essais antérieurs de critique et d’herméneutique sacrées, l’avaient placé parmi les plus habiles connaisseurs de l’Ancien Testament. Ses '‘Recherches historiques et critiques'‘ sont sûrement l’ouvrage le plus complet, le plus méthodique, le plus judicieux de tous ceux qui aspirent à présenter l’ensemble des recherches sur l’ancienne littérature hébraïque. Esprit ferme et sévère, M. Kuenen vise moins à l’originalité des hypothèses qu’à donner la mesure exacte de ce qu’il est permis d’affirmer. Il sait ignorer; il se résigne à ne pas entendre l’herbe germer, à ne pas saisir l’insaisissable. Dans l’état actuel des études d’exégèse biblique, c’est là peut-être la première qualité. La critique de l’Ancien Testament est ce qu’on peut appeler une science close. On ne trouvera pas d’autres textes hébreux; on n’a guère de moyens pour améliorer les textes connus. Sans doute la découverte de nouvelles inscriptions phéniciennes, le progrès des études relatives à l’Égypte, à l’Assyrie, à la Perse, jetteraient sur plusieurs points de grandes lumières; mais le champ même de ce qu’il est permis d’espérer en ce genre est assez limité. Peut-on du moins compter sur les résultats qu’amènerait un redoublement d’efforts et de sagacité? Qu’on ne l’oublie pas des générations de savans ont consumé leur vie sur ces textes; presque toutes les combinaisons possibles ont été essayées. Une idée neuve en pareille matière a beaucoup de chance

  1. Ces pages doivent servir d’introduction à la traduction du livre de M. Kuenen, qui paraitra chez Michel Lévy.
  2. Voyez sur les travaux et les idées de cette école l’intéressante étude de M. Albert Réville dans la '‘Revue'‘ du 15 juin 1860.