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sorte d’anarchie. On n’y voit pas, à proprement dire, de '‘banqueroutes'‘. Quand un négociant est au-dessous de ses affaires et qu’il a résolu de les liquider, il nomme un '‘trustee'‘, un fondé de pouvoirs, entre les mains duquel il consigne sa maison. Ce dernier a pendant un an contrôle exclusif et disposition absolue des biens à lui confiés. Il liquide comme il peut les affaires de son commettant, et les créanciers n’ont pas le droit de contrarier sa gestion jusqu’au jour où il leur paie en tout ou en partie ce qui leur est dû. On a vu de grandes maisons se soustraire ainsi à une ruine certaine, et reprendre ensuite avec honneur leurs affaires, interrompues par une gêne momentanée; mais les conséquences habituelles de cette législation sautent aux yeux quand le failli est malhonnête, le '‘trustee'‘ n’est qu’un compère qui prend sa part des bénéfices de la fraude. Cependant le banqueroutier se prélasse, va aux eaux, voyage en Europe ou se repose dans sa famille ses créanciers le rencontrent, l’abordent comme autrefois, lui demandent poliment des nouvelles de son affaire, si toutefois il condescend à satisfaire leur indiscrète curiosité. Ces scandales sont quotidiens. Et pourtant n’y aurait-il pas dans cette législation singulière un bon exemple à suivre? Que de commerçans tombent par suite d’embarras momentanés, d’insolvabilités passagères, qui le lendemain auraient fait honneur à tous leurs engagemens! S’il suffit pour faire banqueroute de ne pas avoir sous la main de quoi liquider, est-ce que les institutions de banque ne sont pas en faillite perpétuelle? Que deviendrait la Banque de France, si demain tous les porteurs de ses billets venaient en exiger le remboursement? Quant aux fraudes, rien de plus simple que de les éviter au lieu d’un agent du failli, il suffit de confier ces fonctions de gérant liquidateur à un arbitre choisi de l’agrément de tous; ceci d’ailleurs soit dit en passant.

Ce n’est pas seulement aux banqueroutiers frauduleux que les lois américaines se montrent indulgentes. Il y a d’autres négoces où la honte lucrative est souvent le chemin de la richesse estimée. Je ne puis vous taire certains procès scandaleux que les lois encouragent, et qui s’étalent dans les journaux avec une impudence et une crudité tout américaines, je veux parler des procès en séduction. On a tout dit des formes défectueuses et sommaires de ce mariage américain qui peut, suivant les caprices d’une législation irrégulière, être contracté devant le premier '‘clergyman'‘ ou le premier magistrat venu, ou même devant témoins, être tenu secret jusqu’au jour où on le conteste et où l’on fait comparaître les témoins, être suppléé enfin tant bien que mal par une possession d’état contestable; on sait aussi les facilités singulières que ce chaos donne à la bigamie, et le grand nombre de doubles, triples et quadruples mariages découverts chaque année par la jalousie féminine.