Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/231

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rieur : c’est là qu’on les sale et qu’on les prépare. Cette horrible industrie est une des grandes richesses de Chicago.

En revenant, nous parcourons Michigan avenue, une longue allée qui s’étend au bord du lac, entre une grande plage sablonneuse où les vagues déferlent et une rangée irrégulière de belles habitations entourées de serres et de jardins. Des troupeaux de vaches nomades y errent en liberté, broutant l’herbe maigre qui croit dans des fossés. C’est là pourtant, et dans Wabash avenue, que demeure le monde riche et élégant de la ville. Encore un pas, et nous sommes dans Lake street, le Broadway de Chicago, au milieu du bruyant tumulte de la cité commerçante. Ce noyau central est entouré de trois côtés par le lac et par les deux branches de la rivière Chicago des ponts tournans le rejoignent aux faubourgs du nord. Les grands bateaux à vapeur, des lacs vont et viennent sans cesse dans la rivière, qui forme un port naturel sur une longueur de cinq milles au-dessus de son embouchure. Tout le long se dressent les hautes tours de bois de ces élévateurs où passent, dit-on, chaque année vingt millions de boisseaux de blé.

C’est dans quatre jours qu’a lieu l’élection. Il me semble que le parti républicain, sans être sérieusement compromis, commence un peu à s’affaiblir. Les dernières victoires, qu’on a tant célébrées, n’ont servi qu’à verser du sang. Grant, de qui on attendait quelque prochain coup de tonnerre, se contente de fortifier sa position, sans avoir toujours l’avantage dans les combats quotidiens des avant-postes. Il a fait tuer en une seule campagne plus d’hommes qui n’en fallait il y a cinquante ans pour soumettre tout un empire. Il a payé chaque pouce de terrain d’une vie humaine. On l’accuse maintenant d’être un sluggard, un de ces généraux dont tout l’art consiste à sacrifier obstinément les hommes, et qui pour franchir une rivière y font une jetée de cadavres. Sans doute le président Lincoln souhaite ardemment de pouvoir jeter dans la balance, à la veille de l’élection, le nom d’une victoire nouvelle ; mais la bonne volonté ne suffit pas contre les triples et quadruples lignes dont les rebelles ont environné leur capitale. Meade a livré la semaine dernière à contre-cœur, et pour obéir à des ordres positifs, un assaut funeste à l’armée fédérale. Les journaux démocrates savent bien qu’ils mentent lorsqu’ils menacent le général Sherman d’une déroute je n’ajoute foi ni à leurs bruits de défaites dans l’Arkansas, d’invasions dans le Kentucky et dans le Tennessee, ni à leur comptes apocryphes d’ennemis innombrables. Toujours est-il que Grant matériellement n’avance pas, tandis que Sherman a beaucoup à faire de tenir ses communications libres contre les bandes armées qui harcèlent ses derrières.

Quant aux finances, l’or monte, la dette fait boule de neige, le