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brutal de cabaret. A présent le lyrisme échauffé des orateurs et des écrivains démocrates lui a trouvé un nom plus digne de la solennité de leurs derniers appels on le surnomme l’arch-fiend, le roi des démons, comme Jefferson Davis l’arch-rebel; mais je laisse ces petits détails et je cours aux faits.

Il n’est question partout que de l’audacieuse fraude électorale commise à Baltimore par les commissaires chargés de recueillir les votes des soldats de l’état de New-York. Vous savez quelle importance a le vote de l’armée. Il y a des états qui, dans leurs élections locales, ont donné la majorité aux démocrates, mais où le vote militaire rendra sans nul doute l’avantage aux républicains. Il paraîtrait que les démocrates ont imaginé de tourner à leur profit cet appoint décisif de la majorité républicaine. La chose est bien simple quand on songe que le vote se divise par états, et que les commissaires chargés d’y présider sont nommés par les gouverneurs, qui peuvent être aussi bien démocrates que républicains. Or un certain Edward Donohue, nommé par le gouverneur Seymour pour ce travail important, a inventé un moyen de falsifier les pièces mêmes du vote. Il s’est procuré les rôles de l’armée, les noms des électeurs, ceux des officiers, ceux des commandans, et avec une audace inouïe s’est mis à fabriquer de faux bulletins. Ce n’est pas tout ressuscitant les anciens cadres, il faisait voter les soldats morts, les déserteurs, les vétérans licenciés, jusqu’à des soldats imaginaires qui n’avaient jamais existé, s’exposant à une découverte certaine le jour où, supputant le nombre des votans, on en aurait trouvé plus que d’électeurs. C’était un faux matériel, car le vote de chaque soldat devait porter, avec son nom, la signature de l’officier, qui en garantit l’authenticité, et celle du quartier-maître, qui répond de l’identité de l’officier lui-même; mais Donohue, Ferry et leurs complices ne sont pas hommes à reculer pour si peu. Peut-être même leur mensonge aurait-il passé inaperçu, s’ils n’avaient compté dans leurs rangs un espion qui les a dénoncés.

Voilà les faits tels qu’on les raconte. Est-ce une invention des républicains, ou, comme les démocrates voudraient nous le faire croire, une comédie de la police? Je ne le pense pas, car il y a des témoignages concluans, et le réquisitoire, demandant la peine de mort, est d’une sévérité qui écarte tout soupçon de complicité entre l’accusé et ses juges. On insinue, non sans raison, que la fraude ne pouvait réussir qu’avec la complicité du gouverneur, et qu’il serait bien juste de faire remonter la responsabilité du crime de l’agent à l’instigateur, de la créature du gouverneur ce haut personnage lui-même. En attendant, les prévenus ont été traduits devant un conseil de guerre au lieu d’être livrés à la justice ordinaire de leur état, et la raison qu’on en donne montre bien le côté faible des