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de l’émigration. Elle répandrait une vie, un sang nouveau dans ce corps étiolé où la croissance s’arrête, Les Canadiens le sentent et aimeraient mieux le taire; mais les Américains, qui le savent aussi, se chargent de le crier sur les toits.

Le Canada n’est, à vrai dire, qu’une dépendance des États-Unis; sans ce voisin, à la fois bienfaisant et redoutable, ce serait un pays perdu, sans ressources et sans avenir. Il ne peut maintenir son indépendance à côté du colosse aux cent bras qu’à la condition de former une puissance qui tienne la balance égale. Or ceux mêmes qui détestent le plus la république américaine doivent en comprendre la difficulté. L’alliance même ou la protection de l’Angleterre ne serait d’aucun secours au Canada contre un coup de main des États-Unis tout au plus pourrait-elle y jeter une armée qui serait prise jusqu’au dernier homme. N’est-elle pas forcée l’hiver d’emprunter aux Américains leur rade de Portland pour y faire aborder les paquebots-poste du Canada? Les États-Unis n’ont qu’à vouloir, et le Canada, séparé du monde, investi comme une place assiégée, livré sans défense aux incursions de leurs armées, n’a plus d’autre ressource que de se jeter dans leurs bras. Les Américains se croient bien certains de n’en faire qu’une bouchée. Le projet d’union des provinces les irrite comme une barrière qu’on essaie d’élever contre eux; ils voient d’un mauvais œil la coïncidence malheureuse de l’établissement d’un empire au Mexique et de la formation d’une nation rivale au Canada. Enfin la conduite de l’Angleterre durant leur guerre civile ajoute à ce grief un vif désir de vengeance. Les Canadiens, en ce moment, essaient d’un expédient temporaire pour éluder leur destinée ils voudraient, s’il était possible, satisfaire aux exigences de leurs intérêts matériels sans renoncer à leurs antipathies et à leurs affections nationales; mais je crains beaucoup qu’ils ne puissent résister à la pente fatale.

En 1849, le parti de l’annexion forma à Montréal une association puissante, dont le chef était M. Benjamin Holmes, membre du parlement canadien. Elle publia un manifeste qui exposait tous les inconvéniens de l’union de la colonie à cette mère-patrie lointaine qui, sans la tenir attachée par aucun lien naturel, la forçait à vivre en antagonisme avec le pays dont tous ses intérêts devaient la rapprocher. Elle y énumérait tous les remèdes à la stérilité et à la décadence dont cette union contre nature avait, disait-elle, frappé les deux provinces. C’étaient la protection des produits canadiens sur les marchés de la Grande-Bretagne, la protection locale des manufactures, une — confédération des provinces, — l’établissement d’une république fédérale indépendante, et en dernier lieu l’annexion aux États-Unis, à son avis seule efficace. Telle est en effet la gradation et la fin probable des tentatives de l’Angleterre pour