Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/219

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peut encore avec avantage opposer sa dette actuelle de 400 millions aux milliards incalculables de la dette des États-Unis. Il a fait de grosses dépenses pour l’armement de ses milices; mais sous ce rapport les États-Unis n’ont rien, que je sache, à lui envier. Les Canadiens, qui n’ont jamais eu pour la république américaine qu’un zèle douteux et intéressé, font aujourd’hui des vœux pour qu’elle reste divisée; mais, sitôt la guerre achevée, l’Union rétablie, la dette américaine éteinte ou répudiée, ne se laisseront-ils pas de nouveau convaincre qu’ils auraient profit à l’annexion? A vrai dire, sans trop l’avouer à personne, sans peut-être se l’avouer à eux-mêmes, ils en sont convaincus d’avance, et le projet actuel n’est qu’une autre forme du besoin qui les y pousse. Si fort que l’on tienne au maintien de la petite nationalité canadienne, si fort aussi qu’on admire la sagesse du gouvernement britannique dans ses rapports avec ses colonies, on ne peut nier ce qu’il y a d’artificiel dans leur union à une métropole située au-delà des mers, quand elles ont à leur porte, avec un peuple de même race, l’un des plus grands et des plus riches pays du monde.

Autrefois, quand un monopole réciproque enchaînait l’Angleterre aux colonies, elles pouvaient encore s’abuser sur les prétendus bienfaits d’une union qui était leur ruine. Aujourd’hui que le mariage commercial des États-Unis et du Canada est depuis longtemps consommé par le sage libéralisme de la mère-patrie, l’évidence éclate à tous les yeux. Sur 45 millions de dollars, chiffre total des importations pendant l’année 1863, 23 millions venaient des États-Unis, 22 millions seulement de tous les autres pays du monde. Sur 37 millions de dollars, somme des exportations, 20 millions allaient aux états, 17 seulement au reste du monde. La population émigre aussi vite qu’elle se multiplie; elle va chercher aux États-Unis de plus gros salaires, une vie plus large et plus abondante, un plus vaste théâtre pour son activité. La petite colonie française, abandonnée de la mère-patrie, qui a pu, en un siècle et sous la sujétion d’une race étrangère, croître spontanément de soixante-cinq mille à un million d’âmes, n’a pas perdu sa vitalité extraordinaire. Elle déborde dans toute l’Amérique, peuple le Mexique, la Plata, les Antilles, remplit en ce moment les armées du nord et du sud; mais elle ne s’étend plus guère chez elle le trop plein coule ailleurs. En 1863, l’émigration a augmenté de 17 pour 100 sur 1862; pour les neuf premiers mois, l’émigration de 1864 dépasse déjà de 32 pour 100 celle de 1863. N’était l’attachement des Franco-Canadiens pour leurs foyers, la population s’éclaircirait plus vite encore. L’agriculture est routinière et se traîne dans les vieux erremens. Aujourd’hui encore, à huit lieues de Québec, on est au bout du monde il n’y a plus rien au-delà que des déserts.