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Laurentides, qui comprend le comté de Québec, Beaufort et tout le bas Saint-Laurent, c’est-à-dire la partie la plus française du Canada. M. Price, Anglais, l’a emporté sur M. Laterrière, Français, à une immense majorité, environ douze contre un. Une centaine de voix tout au plus, voilà ce qu’a pu réunir le parti de l’anglophobie dans un pays où l’on parle français. Et cependant, par une sorte d’inconséquence, tout en servant fidèlement l’Angleterre, quelques Canadiens gardent pour la mère-patrie un amour platonique et persévérant. Ainsi au bal des bachelors un jeune homme en uniforme anglais s’approche de moi et me dit « Vous êtes Français, monsieur? Oui, monsieur. Eh bien! monsieur (et il me prit la main avec chaleur), souvenez-vous qu’il y a ici, sous l’uniforme anglais, des cœurs qui battent pour la France. »

Montréal 28 octobre.

La pluie me poursuit avec une obstination irritante. Parti hier de Québec en nombreuse compagnie, je trouve ici le même déluge qu’il y a quinze jours. Donegana-Hotel a fait faillite, les autres auberges sont pleines bien heureux de pouvoir trouver quelque part un abri. Il y a ce soir grand bal donné aux délégués, qui, avec les mœurs errantes des Américains, poursuivent leurs délibérations en se promenant de ville en ville et de fête en fête, traînant à leur suite la moitié de la société de Québec.

Il est probable qu’en fondant la monarchie du Canada, les rédacteurs de la constitution imiteront de très près les institutions anglaises. Une des questions épineuses était celle de l’élection de la chambre haute ou conseil législatif de la confédération nouvelle, parce qu’elle enveloppe, à vrai dire, le principe même du gouvernement. Le conseil législatif des deux Canadas, qui procédait autrefois de l’élection directe de la couronne, est issu maintenant du suffrage populaire, sauf le droit acquis de quelques anciens membres qui ont été maintenus à vie; mais pour l’union nouvelle une foule de systèmes sont en présence. Le conseil sera-t-il héréditaire, à vie, élu temporairement, nommé par la couronne, par les législatures locales, par le peuple, ou bien adoptera-t-on un système mixte ? Quelques-uns soutiennent le système que Stuart Mill a préconisé dans son livre, et que j’appellerai l’élection de droit, c’est-à-dire l’aristocratie politique à vie des anciens juges, grands fonctionnaires et ministres désignés par la constitution pour faire partie de la chambre, et promus de droit en sortant de charge, sans que le gouvernement puisse les choisir. C’est assurément une idée féconde, et peut-être ce qu’il y avait de plus sage était-il de combiner ce système avec celui de l’élection, en réservant un certain nombre de sièges à la désignation des législatures provinciales; mais alors les