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qui se sont résignés à un gros sacrifice. Comme dans la loi française, on a substitué la rente foncière rachetable à la redevance perpétuelle, et fait du contrat entre le seigneur et le vassal une vente pleine et entière de la propriété. Ainsi, de cette féodalité épouvantable qui indigne si fort les purs démocrates, on n’a gardé aujourd’hui que le nom, qui, comme celui de la dîme, fait illusion à distance, mais n’a plus d’autre valeur que celle des souvenirs.

Je voudrais enfin vous donner quelques détails sur l’organisation de l’instruction publique au Canada, aussi différente du système américain que du nôtre, et qui me semble concilier dans une juste mesure les droits de l’initiative locale et l’intervention souveraine de l’état. Taxe scolaire communale sur la propriété foncière et sur chaque tête d’enfant, qu’il aille ou n’aille pas à l’école, obligation pour chaque paroisse de nommer elle-même un comité qui fixe et lève l’impôt et choisit l’instituteur, droit et obligation pour le gouvernement de pourvoir d’autorité à ces divers soins quand les paroisses y manquent, encouragement et subvention de l’état égale à celle que la paroisse a spontanément ou forcément fournie, fonds de réserve pour secourir les paroisses pauvres, tels sont en deux mots les principaux traits de ce système. Ce qui me frappe surtout dans les institutions canadiennes, c’est la spécialité et pour ainsi dire la localisation des taxes. Chacun paie pour ses propres besoins, à ses propres députés, la somme qu’il leur a donné mandat d’exiger, ou bien, quand l’impôt est fixe, le produit n’en est pas moins perçu et appliqué dans la localité. Chez nous au contraire, l’état est comme le soleil qui pompe les nuages, les amasse au ciel et les fait également retomber en pluie. Je ne nie pas la beauté apparente du système; mais il a l’inconvénient de cacher aux contribuables l’emploi et la distribution de leurs ressources. Ils voient bien leurs revenus s’en aller en fumée; mais, ne voyant pas d’où vient la pluie qui les féconde, ils s’habituent à considérer les exigences de l’état comme des exactions, et ses bienfaits comme un don naturel.

Je suis allé ce matin voir le village indien de Lorette et acheter au chef de la tribu (qui est un Français aussi blanc que moi) une collection de babioles indigènes. La race rouge a disparu partout où elle s’est trouvée en contact avec la race blanche, s’imprégnant d’une teinture de plus en plus française, jusqu’à ce que l’origine primitive se reconnût à peine à quelques signes obscurs. Les Hurons de Lorette n’en ont pas moins leurs chefs, comme dans le vieux temps, et, chose étrange après deux siècles de civilisation, l’agriculture n’est pas encore leur occupation favorite. A côté du soin de leurs champs, la chasse et les petits ouvrages ingénieux occupent beaucoup de leurs heures ce sont des canots, paniers,