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les glaces, c’est-à-dire pendant cinq mois de l’année, le commerce des deux Canadas prend tout entier le chemin du sud. Il importe donc à l’union des provinces de l’est qu’un chemin de fer soit ouvert jusqu’au Nouveau-Brunswick à travers des déserts encore inhabités. Une partie de ce chemin est achevée déjà jusqu’à la rivière Saint-Jean. Il faut que le reste soit exécuté au plus tôt avec l’argent du Canada, qui en retour y gagnera un débouché toujours libre. En même temps le Haut-Canada, en demandant le rachat du privilège de la compagnie de la baie d’Hudson, concessionnaire de tous les rivages des grands lacs, parle aussi d’un chemin de fer du Pacifique, qui doit lui ouvrir les solitudes de l’ouest et attirer de son côté le flot de l’immigration européenne. Il n’est pas besoin de dire combien ce projet, qui sera exécuté un jour ou l’autre, serait pour le moment ruineux et prématuré.

Enfin la religion est aussi un obstacle. Dans le Bas-Canada, le clergé catholique lève la dîme[1], tandis que le clergé protestant, par tout le Canada, ne se soutient que par les donations, les contributions volontaires, les héritages et les secours de l’état. Si l’on veut passer sur le Canada un niveau d’uniformité, il faut abolir la dîme et la remplacer par une taxe régulière équitablement répartie entre tous les cultes; mais, outre que la répartition serait difficile, l’institution du clergé catholique au Bas-Canada est une chose ancienne, respectée et respectable, à laquelle il serait dangereux de toucher.

Il est vrai que la difficulté est plus apparente que réelle. La dîme, au Canada, n’est pas cette institution abusive dont l’Irlande montre une si injuste application; le nom a été conservé, la chose même a disparu. Il n’y a rien d’obligatoire dans la taxe de l’église. Les jurisconsultes ont admis, depuis le temps de la conquête anglaise, que le droit inviolable de l’individu faisait fléchir la règle ecclésiastique. Ne paie donc la dîme que qui consent à la payer le simple refus est admis comme une dispense. La dîme en effet est perçue non point en vertu d’une loi, mais d’un septième commandement de l’église supprimé chez nous, et il est impossible que, dans un pays où règne une parfaite liberté de conscience, on en impose l’exécution à celui qui repousse les enseignemens de l’église. Il suffit donc de dire qu’on n’est pas catholique pour se dispenser de toute redevance; l’action légale que le clergé a contre les réfractaires tombe devant ce désaveu, et le bras séculier ne prête sa force à l’église que pour faire respecter sa loi dans son propre sein. On peut dire que l’église catholique est au Canada une insti-

  1. La dime au Canada n’est pas du dixième, comme on pourrait le croire, mais du vingt-sixième des produits de la terre. L’habitant canadien la paie en nature.