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la moindre largeur du Saint-Laurent. Les immenses massifs de maçonnerie qui portent les tubes ressemblent à des pyramides. Le tout a coûté environ 35 millions. En hiver, les glaces encombrent le fleuve, et sans ce coûteux ouvrage Montréal resterait quatre mois privé de débouchés.

Québec, 17 octobre.

Je voulais attendre à Montréal que le ciel me fît grâce; mais les nuages gris ont continué à rouler obstinément et à se distiller en pluie fine sur les rues changées en marécages. La Montagne-Royale, d’où la ville a pris son nom, n’apparaissait que comme un contour indécis à travers la brume. A quoi bon y monter pour ne rien voir? A quoi bon visiter le village indien de Caghnawaga? A quoi bon enfin rester les bras croisés à Montréal? Je m’embarquai donc avant-hier soir sur le paquebot de Québec. Je pus au moins, du pont du steamer, considérer à la nuit tombante les quais et le port de Montréal, qui ne manquent pas d’une certaine grandeur. Il y a là un hôtel de ville couronné d’une coupole; à cette heure, les ombres, les lumières qui s’agitent, les bruits du port, le mouvement de la rivière, n’annoncent point le village de province caché dans les rues centrales. Montréal, situé sur son île, au confluent de toutes les grandes voies liquides du pays, est d’ailleurs la capitale naturelle et le centre de tout le Canada. La population, qui s’y multiplie avec une extrême rapidité, prouve que ce n’est pas là un de ces établissemens artificiels que nous avons semés à tous les coins du globe. Il s’y bâtit chaque année de cinq à six cents maisons. Si le gouvernement anglais ne se payait de chimères, au lieu de reléguer l’administration dans ce désert d’Ottawa, dont les communications sont interrompues à l’heure présente, il la mettrait dans cette ville mi-française, mi-anglaise, qui représente le double élément de l’union canadienne.

Le choix de la capitale est d’autant plus grave aujourd’hui que l’Angleterre aspire, vous le savez, à réunir en un seul faisceau toutes ses possessions de l’Amérique du Nord. Les délégués des provinces sont en ce moment même réunis à Québec pour discuter le plan de la confédération nouvelle. Ils sont tous logés dans l’hôtel où je demeure, et trois ou quatre fois le jour le waiter, faisant l’office d’huissier, frappe bruyamment à leurs portes pour les avertir que l’heure de la réunion est venue. Hier on me fit l’honneur de me prendre pour un délégué, et je fus averti que la séance allait s’ouvrir. J’aurais été fort curieux d’y assister, car ces messieurs se sont donné parole de garder le plus grand secret, et rien ne transpire de leurs délibérations que quelques propos insignifians. Ils veulent, paraît-il, se mettre d’accord avant de rien livrer à la publicité; mais ce