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du roi n’aurait pas rendu la coalition plus facile. Pitt ne voulait être que le premier, Fox ne voulait pas qu’il le fût. Si l’un ou l’autre avait cédé, la combinaison à coup sûr n’eût pas été trouvée praticable. Fox n’a pas plus paru y croire que la désirer, et il avait raison.

Voilà donc Pitt réduit à lui-même; c’est une extrémité qu’il avait prévue, lorsqu’il disait à lord Eldon qu’il apprendrait à cet homme orgueilleux (lord Grenville) que pour le service et avec la confiance du roi il pouvait marcher sans lui, quoiqu’il pensât que dans l’état de sa santé cela pouvait lui coûter la vie. Néanmoins la politique doit tenir compte de tous les faits; sa santé déclinante en était un. Il y avait plus de courage que de sagesse à le négliger. Aussi, en admirant un héroïque dévouement au bien de l’état, on ne peut s’empêcher de reconnaître ici cette présomption téméraire, cette outrecuidance de la supériorité qui se croit toute-puissante. Il y a quelque chose de l’exaltation fébrile d’un homme déjà malade dans cette entreprise désespérée qu’il forme presque seul de gouverner l’Angleterre et de disputer l’Europe à Napoléon. S’il n’était seul en effet, il était séparé des plus importans de ses anciens collègues. Il n’avait plus avec lui ni Grenville ni Windham; une accusation flétrissante allait le priver de Dundas, qui d’ailleurs avait fait retraite à la chambre des lords. Seul à la chambre des communes avec Castlereagh, Pitt y représentait le cabinet tout entier. Aussi, malgré tous les soins de lord Stanhope pour le montrer encore égal à lui-même, les derniers efforts d’une noble éloquence et d’un noble caractère laissent percer des signes de décadence. Comme son père, il ne doit pas être jugé sur son dernier ministère. On a bien dit, pour en relever le souvenir, qu’ayant trouvé les rivages de l’Angleterre menacés par l’armée de Boulogne, il les délivra en l’envoyant sur les bords du Danube, grâce à la formation d’une nouvelle coalition continentale; mais la coalition fut vaincue, et il en mourut de douleur. Son aspect était effrayant pendant les derniers mois de sa vie. « C’est son visage d’Austerlitz, » disait Wilberforce.

Fox était peut-être, comme homme, supérieur à Pitt il ne le valait pas comme homme de gouvernement, il était moins complet. Il lui manquait cet équilibre entre les facultés de l’esprit, les dons du caractère, les émotions de l’âme et le pouvoir de la raison, enfin cette possession de soi-même qui résiste aux entraînemens et aux caprices, toutes ces qualités qui, justement proportionnées, rendent même la médiocrité capable des affaires publiques, et qui, portées à un certain degré d’élévation, rapprochent celui qui les réunit de l’idéal de l’homme d’état. Il y avait dans son esprit, son talent, sa vie, il y avait dans sa manière, pour emprunter une expression aux