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irréprochable, où toutes les maisons sont entourées de grilles de fer ; je ne sais quoi dans leur aspect annonce un intérieur chaud, comfortable et tranquille. Par cette froide bise du nord, le passant jette un regard curieux et jaloux sur les glaces polies des fenêtres. C’est là, dans une petite maison proprette, arrangée avec amour et pleine d’objets d’art recueillis en Europe, que vit mon digne ami M. Sumner.

Je n’avais encore vu que le Sumner ennuyé, affairé, de Washington, campé au milieu des liasses diplomatiques, retenu par la chaîne de son titre à un labeur qui ne lui laissait pas toute la liberté de sa bonne humeur et de son aimable esprit. Il faut à présent que je vous le montre chez lui, épanoui dans son élément congénial, entouré de ses livres, de ses estampes, de ses statues, les soignant avec l’amour d’un vieux garçon, soignant sa personne aussi, bibliophile, lettré, antiquaire et homme du monde, presque élégant quand il se promène dans cette ville de Boston où chacun le connaît et l’aime, où on le salue à chaque pas. Il faut que je vous introduise, malgré l’indiscrétion, dans ce cabinet tendu de gravures précieuses, plein de vieux livres, de manuscrits, de missels gothiques et d’éditions rares, près de cet homme grand et de stature robuste, semblable à un Américain de la vieille roche, et qui vous fait en souriant les honneurs de son petit musée. Cependant il vous questionne sur la littérature, sur la philosophie, sur les mœurs de votre pays, sans préjugé ni parti-pris, comme un curieux qui cherche sans cesse à refaire son opinion. La politique, où il joue un si grand rôle, est pour lui le métier, le travail qu’on oublie aux heures de loisir. Si vous l’interrogez, quelques mots un peu sentencieux, mais pleins de conviction sincère, et il se hâte de revenir à ses entretiens favoris. Il semble heureux de vous prouver que ses études encyclopédiques n’ont laissé inexploré aucun champ de la littérature et de l’histoire, qu’il a longtemps couru l’Europe en artiste, en étudiant et en observateur mais il ne prétend pas vous imposer ses vues. Vous pouvez d’ailleurs lui dire franchement tout le bien que vous pensez de lui rien ne le caresse plus doucement ; mais sa juste opinion de lui-même n’est ni irritable, ni défiante, ni importune elle ne donne ni faste à son langage, ni hauteur à ses manières, ni ostentation à sa bienveillance. Homme bon, simple, cordial, sincère, satisfait des autres comme de lui-même, heureux de répandre sur tous ceux qui l’approchent le contentement que lui inspirent sa renommée noblement acquise et l’estime des honnêtes gens ! Je l’ai vu quatre fois à peine, et je me figure l’avoir toujours connu.

M. Sumner s’empara de moi, me guida par la ville, me montra la poste, la banque, la douane, d’autres monumens publics, tous bâtis dans un style massif, dont la lourdeur même plut à mes yeux