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Vendredi, après avoir expédié à la hâte quelques visites d’adieu, j’ai pris un des trois chemins de fer de New-York à Boston. J’ai peu de chose à vous dire du pays parcouru à vol d’oiseau entre ces deux villes, sinon qu’on suit les bords de la mer, que les côtes en général sont arides, qu’on traverse vingt rivières sur des ponts, trois estuaires en ferry-boat, et qu’on côtoie une succession de golfes et de rades abritées. D’abord Long-Island allonge ses côtes basses au fond de l’horizon maritime; on traverse Norwalk, Bridgeport, villes florissantes, New-Haven, assise aux deux bords d’un golfe bleu, puis les campagnes du Connecticut, riches et populeuses malgré une terre ingrate. La vallée de la Nouvelle-Tamise et la rivière Connecticut, cette dernière surtout, sont des accidens agréables dans une région monotone; nous y passons comme une flèche, apercevant à peine la riante vallée, son cours sinueux, ses croupes molles et boisées, qui brillent de toute leur splendeur d’automne. On sent déjà l’approche de l’hiver; nous arrivons à Boston par une nuit de décembre.

Le lendemain, dès le premier pas que je fis dans la rue, je fus frappé de l’aspect nouveau de cet autre monde un peuple actif, quoique sérieux et presque sévère, moins affairé et plus décemment vêtu qu’à New-York; pas de faux luxe dans l’apparence, pas de colifichets fragiles dans l’architecture on dirait Londres ou Liverpool. Les maisons sont bâties pour la plupart de beau granit grisâtre, à fortes et massives assises; elles n’ont pas non plus cette hauteur démesurée qui les fait ressembler à des châteaux de cartes, ni ces misérables auvens de bois qui leur donnent un air de pauvreté sordide. Les rues ne sont pas démesurément larges, ni coupées régulièrement à angles droits avec une ennuyeuse monotonie. Enfin Boston n’est point, comme la plupart des villes américaines, un grand village qui a fait fortune, une perpétuelle banlieue sans cité. La rue où je demeure longe un grand parc appelé Boston Common, planté de beaux arbres, et qui contraste avec les squares négligés de New-York. Le State-House, un assez beau bâtiment de granit qui est le siège du gouvernement, élève à côté, sur une éminence, ses terrasses, sa coupole et ses escaliers ornés de statues. En face court une avenue en pente, ouverte sur la promenade, et dont l’unique rangée de maisons, flanquées de rotondes ou de demi-tourelles en saillie, est coquette et gaie comme les jolis cottages des environs de Londres. C’est d’ailleurs le quartier élégant de la ville, espèce de Piccadilly sans tumulte, sans boue, au-dessus d’un pli de terrain gracieux et d’une vue qui vaut cent fois celle de Green-Park. Derrière le State-House, sur le flanc de la colline qu’elle gravit en pente rapide, est une rue retirée, soignée,