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venus dans l’organe; tantôt c’est l’unité du type qu’il faut suivre pour en rendre compte il semble alors que la nature ait voulu nous rappeler par ces modifications la constance de ses lois et marquer là l’empreinte de son dessein primitif. Goethe a traduit ces deux principes avec une précision qui ne laisse rien à désirer quand il a dit « L’ostéogénie est constante en ce qu’un os est toujours à la même place et en ce qu’il a toujours la même destination. Pourquoi donc alors attaquer si vivement les causes finales, qui, bien comprises et sagement expliquées, ne sont que la recherche de cette destination ?

En prenant la question à un point de vue purement philosophique, on pourrait dire, sans offenser assurément la religion de Goethe, ce grand adorateur de la nature, que l’unité de composition, de plan, de type, est elle-même une cause finale de l’ordre le plus élevé, qu’elle contient en soi toute une esthétique du monde organique, qu’elle en explique les admirables harmonies, qu’elle suffirait pour justifier toute la création, qu’elle révèle, à qui sait la saisir, cette raison du meilleur qu’Aristote impose comme règle au développement du monde; qu’enfin à elle seule elle rendrait compte des beautés de ce cosmos qu’Alexandre de Humboldt a défini avec une poétique grandeur « l’ordre dans l’univers et la magnificence dans l’ordre. »

Nous nous étions proposé de montrer dans les travaux scientifiques de Goethe une des sources les plus authentiques de sa philosophie. Toutes ces conceptions que nous venons d’analyser, sur la méthode synthétique, sur la forme et la métamorphose, sur l’unité de type, les espèces et les causes finales, nous ont amené insensiblement de la physique et de l’anatomie à la métaphysique. Nous y pénétrerons à la suite de Goethe. Il y a en effet une métaphysique de la nature, nous dit Goethe, « mais non celle de l’école qui se paie de mots[1]. » Faust est métaphysicien quand il médite sur le texte sacré. « Au commencement était la Parole… Est-ce bien cela? Non. Lisons l’Intelligence... Pèse bien la première ligne, et que ta plume ne se hâte pas trop! Est-ce l’Intelligence qui fait et produit tout? Il faut lire la Force... Non, je me sens éclairé et j’écris avec confiance l’Action. » Voilà une méditation étrange dont Goethe nous doit le dernier mot. Il nous le donnera, n’en doutez pas. Il nous dira quel est le vrai nom de ces énergies créatrices, de cette activité universelle qui remplit la nature, et qui, agitant, animant la substance vague du monde, l’amène successivement à la forme, à la vie, à la pensée.


E. CARO.

  1. Trad. Porchat, t. Ier, p. 496.