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toire naturelle sont remplis d’épigrammes contre les naturalistes « qui prétendent travailler pour la plus grande gloire de Dieu. » Il semble, au premier abord, que cette exclusion soit logique pour ceux qui admettent que la grande loi de la nature soit l’unité d’un dessein suivi dans la formation des êtres. Dès lors, ce n’est point par la considération des fins que doit se déterminer l’organe, c’est uniquement par sa position relative et sa correspondance anatomique. Les fonctions sont un résultat, non un but. L’animal subit le genre de vie que lui imposent les particularités de son organisation. Le naturaliste étudie le jeu de ces appareils, et s’il a le droit d’admirer les perfections du plus grand nombre, il a aussi celui de constater l’imperfection de quelques autres et l’inutilité pratique de ceux qui ne remplissent aucune fonction. Un organe ne peut donc se caractériser par son usage, car le même organe remplit les rôles les plus divers, et réciproquement la même fonction peut être accomplie par des organes très différens. De plus il y a des organes atrophiés ou incomplets qui, dans certains animaux, ne servent absolument à rien. Ces faits et d’autres analogues sont la condamnation des causes finales[1]. Telle est la doctrine constante de Geoffroy Saint-Hilaire et de son école. Goethe se garde bien d’y contredire, et dans ses entretiens il abordait volontiers ce sujet. Un jour entre autres, il le traita avec des développemens qui méritent d’être étudiés. S’il n’ajoute pas d’argumens à ceux de Geoffroy Saint-Hilaire, il les résume et les renouvelle avec une verve singulière. « Il est naturel à l’homme de se considérer comme le but de la création, et de n’estimer les choses que par rapport à lui et qu’autant qu’elles le servent et lui sont utiles. Il s’empare du monde végétal et animal, et, trouvant que les autres créatures sont pour lui une nourriture agréable, il reconnaît là son Dieu et glorifie sa bonté. Raisonnant en particulier comme en général, il ne manque pas de transporter dans la science cette vue prise dans la vie, et dans les parties diverses d’un être organisé il cherche le but, l’utilité. Cela peut aller ainsi quelque temps et parfois dans la science réussir, mais bien vite il rencontrera des phénomènes qui dépasseront son système, qui exigeront un point de vue plus élevé, ou sinon le laisseront engagé dans d’évidentes contradictions. Ces professeurs d’utilité disent bien : Le bœuf a des cornes pour se défendre mais moi je demanderai Et le mouton, pourquoi n’en a-t-il pas? et lorsqu’il en a, pourquoi sont-elles enroulées autour de son oreille, de telle façon qu’elles ne lui servent à rien? Mais c’est

  1. Ch. Martins, De l’Unité organique dans les animaux et les végétaux; Revue des Deux Mondes du 15 juin 1862.