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beaucoup médité sur ces grands sujets, mais que le temps ou le goût lui a manqué pour donner une forme régulière à ses méditations. En général, il aime peu tout ce qui ressemble au didactique. Aussi ses réflexions se présentent sans ordre, elles se ramassent dans des maximes elliptiques, heurtées, pressées, qui éclatent et produisent sur l’esprit du lecteur l’effet d’une scintillation continuelle d’éclairs. Plusieurs, dans la précipitation de la formule qui les a retenues et fixées au passage, sont restées obscures, d’autres sont fort contestables et impliquent une conception arbitraire de la nature; mais combien il y en a qui, semées au hasard, jetées avec une sorte de négligence ironique ou de hautaine indifférence, ouvrent à l’esprit de soudains et grands aperçus sur la réalité ou sur la science! Nous en rappellerons quelques-unes qui résument l’esprit philosophique de sa méthode dans sa hardiesse et ses témérités. « — Propriété fondamentale de l’unité vivante se diviser, se réunir, se déployer dans l’universel, persister dans le particulier, se transformer, se spécifier… Formation et dépérissement, création et destruction, naissance et mort, tout agit pêle-mêle. De là nécessité d’appliquer l’analyse et la synthèse à cette réalité fuyante « si toute la nature est une composition et une décomposition perpétuelles, il s’ensuit qu’en observant cet état de choses prodigieux, les hommes devront faire comme la nature, composer et décomposer tour à tour. » Et ailleurs « Pour me préserver d’erreurs, je considère tous les phénomènes comme indépendans les uns des autres, et je m’efforce de les isoler. Ensuite je les considère comme des termes corrélatifs, et par l’enchaînement ils prennent une véritable vie. » Du reste qu’y a-t-il au fond de cette querelle éternelle de l’universel et du particulier? « Qu’est-ce que l’universel? Le cas individuel. Qu’est-ce que le particulier? Des millions de cas. L’universel et le particulier coïncident. Le particulier est l’universel manifesté dans diverses conditions. Pour concevoir que le ciel est bleu partout, on n’a pas besoin de faire le tour du monde. A qui sait comprendre les choses, toute réalité est déjà théorie, car tout fait contient l’universel. L’art est de l’y saisir et de l’en dégager. On voit d’après cela à quoi se réduit le débat séculaire entre analyse et la synthèse, entre la perception du particulier ou du détail et l’intuition de l’universel ou de l’ensemble.

L’esprit analytique est le sens de l’individuel, l’esprit synthétique le sens de l’universel. Toutes ces querelles de l’analyse et de la synthèse sont vaines; elles ne dureraient pas longtemps, si ces deux termes ne représentaient deux familles d’esprits qui semblent originellement et éternellement distinctes. Chaque analyse suppose une synthèse perdue ou pressentie, et si elle travaille pour quelque