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chose bonne qui soit en vous, lui fut-il dit d’un air sec, c’est qu’au moins vous, vous êtes assez honnête pour dire tout droit ce que vous pensez; » puis, se ravisant, un peu confus peut-être de sa rapide colère « Il se passe pour ma théorie des couleurs, continua Goethe d’un air plus gai, ce qui s’est passé pour la doctrine chrétienne. On croit quelque temps avoir des disciples fidèles, et avant que l’on y ait pris garde, ils se séparent de vous et forment une secte ! Vous êtes un hérétique comme les autres, car vous n’êtes pas le premier qui m’ait abandonné. Je me suis séparé des hommes les meilleurs pour des divergences sur quelques points de cette théorie. Et il lui cita des noms connus, en le reconduisant doucement jusqu’à la porte, sans pouvoir s’empêcher, sur le seuil, de lui jeter encore, moitié riant, moitié se moquant, quelques mots sur les hérétiques et l’hérésie[1]

Cet insuccès persistant et définitif fut le seul chagrin qui, dans les dernières années de Goethe, déconcerta parfois son tranquille bonheur au milieu des enthousiasmes de sa patrie, et vint troubler la sérénité de sa vivante apothéose. Depuis 1815, ses belles découvertes en botanique, ses vues élevées en anatomie, étaient sorties victorieusement de l’ombre et dominaient l’indifférence injuste de la science aussi bien que la défiance systématique de l’opinion. Les relations de Goethe s’étendent presque dans tout le monde civilisé, une vaste correspondance le tient au niveau des idées et en commerce avec toutes les grandes intelligences scientifiques de son temps, à Berlin, à Londres, à Paris. La dernière période de cette longue vie s’écoule et s’achève ainsi dans cette incroyable activité d’esprit, enfin triomphante sur les principaux points, et dans la joie calme de cette curiosité universelle que l’âge n’a pu refroidir. Tous les progrès de la botanique, de l’anatomie, de la physique, de la chimie, de la géologie, dont il a toujours étudié avec passion les différens systèmes, tous les travaux, les découvertes, les grandes expériences, lui deviennent présens et familiers. Il se tient là, à Weimar, dans son cabinet d’études, comme dans un centre d’observations où convergent les idées nouvelles. Il ne reste étranger à aucun succès, à aucun talent, à aucune question, à aucun débat. A quatre-vingts ans et plus, tandis qu’il résume et refond ses travaux scientifiques, tandis qu’il écrit le quatrième livre de ses Mémoires et qu’il achève les dernières scènes de Faust, il suit avec un intérêt vif et un jugement excellent tantôt ces belles leçons par lesquelles MM. Guizot, Cousin, Villemain, renouvelaient dans tous les genres, dans l’histoire, dans la critique et la philosophie, l’es-

  1. Conversations, traduction citée, t. II, p. 98; t. Ier, p. 225, etc.