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à changer de collègues pour traiter avec celui qui venait, il est vrai, de remporter la victoire de Marengo.

Il ne subsiste rien en effet de cette fable, longtemps accréditée, de l’acharnement systématique de Pitt à perpétuer la guerre. Il n’est pas vrai qu’il ait cru qu’elle dût être éternelle, ni que, voyant la paix inévitable, il n’ait pas voulu la faire. Il n’a point laissé cette besogne à d’autres comme indigne de lui; l’honneur de l’accomplir le touchait au contraire. Ce n’était pas sans effort qu’il avait haussé toutes les facultés d’une nature régulière, d’un esprit calme et rangé, aux nécessités d’une situation pleine de troubles et de périls. L’administration intérieure, là le portait son goût, son aptitude, son génie. Il aurait voulu gouverner de sang-froid un peuple qui obéît de même.

On le sait maintenant, la vraie cause de sa retraite, et elle lui fait honneur, fut l’impossibilité d’obtenir quelque chose pour les catholiques. Il y tenait, non-seulement par des idées de justice et de tolérance, mais encore, mais surtout, parce qu’en réunissant l’Irlande à la Grande-Bretagne il n’avait pas cru pouvoir mener à bien cette utile entreprise sans donner des espérances aux Irlandais de la communion romaine. Le lord-lieutenant Cornwallis s’était engagé en son nom, et l’honneur, comme la probité, lui faisait une loi de tenir cet engagement. Malheureusement ici les fautes abondent. Il l’avait pris, cet engagement, à la légère, sans s’assurer des moyens de le remplir. Il ne pouvait ignorer l’opposition obstinée du roi à toute mesure qui affaiblirait la domination protestante, et il ne s’était nullement occupé de vaincre cette opposition, ou du moins de la préparer à céder. La jugeait-il invincible? Ses promesses alors n’étaient ni sincères ni sérieuses. Se flattait-il au contraire d’en avoir raison? Je le crois; il se sentait parvenu au point où rien dans le gouvernement n’aurait dû l’arrêter. Il négligea donc de persuader le roi il n’aurait pas osé le violenter; mais il était l’homme nécessaire, et, sans négociation comme sans lutte, il espérait être écouté. Cela pour lui allait de soi. Or il se trompait. Pendant qu’il laissait, avec autant de respect que de dédain, le roi dans son repos, sa dignité et son ignorance, le chancelier le trahissait, informait de tout George III, et le munissait d’objections que venait corroborer encore la casuistique de deux archevêques. Pitt l’ignorait, et lorsqu’il adressa au roi cette lettre dont j’ai déjà parlé, il semblait supposer que cette affaire allait comme une autre se décider par un accord épistolaire. A la réponse prompte et raisonnée du roi, il ne sut que réaliser la menace de sa démission, renonçant sur-le-champ à l’ébranler par de nouvelles instances, à le lasser par la difficulté de lui un successeur, l’aidant même à se passer