Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/168

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grés. Du côté lumineux naissent le jaune, le jaune orangé et le rouge, par suite d’un affaiblissement graduel de l’intensité lumineuse le jaune n’est donc qu’un blanc légèrement obscurci. Du côté de l’obscurité se développent le bleu, le violet, le rouge; le bleu n’est donc qu’un noir légèrement éclairci. le rouge établit la transition entre la lumière et l’ombre; il est la synthèse de l’une et de l’autre. Ce faux système et les expériences illusoires par lesquelles il essaie de le soutenir remplissent plusieurs années de sa vie. Au milieu du bouleversement de l’Allemagne, pendant que sa patrie est en feu, à l’heure suprême de la bataille d’Iéna, Goethe ne rêve que chambre obscure, microscope solaire, prismes, lentille. L’ennemi de la patrie n’est pas pour lui Napoléon, c’est Newton. En 1810 enfin, après d’innombrables travaux, il publie le Traité des Couleurs, ouvrage considérable par la force de conception dans les détails, par les ressources d’esprit, par les recherches historiques, par l’ingénieuse variété des expériences et les ravissantes applications que l’auteur fait de sa théorie aux beaux-arts, autant qu’illusoire par son hypothèse fondamentale et stérile pour le vrai progrès de la science. Hegel seul, parmi les hommes célèbres de son temps, adopte avec un enthousiasme compromettant cette théorie, qui semblait inventée pour fournir à son système une application inespérée. Quelle bonne fortune pour l’antinomie fondamentale de l’être et du non-être réconciliés dans le devenir que cette thèse du clair, cette antithèse de l’obscur, réconciliées dans la gradation et la dégradation des couleurs, qui ne sont, dans cet ordre de phénomènes, qu’un perpétuel devenir! Mais, hélas! que valait le suffrage de Hegel lui-même au prix de la grande humiliation qui vint de Paris ? Malgré les vives sollicitations et l’active influence de M. Reinhard, l’Académie des Sciences refuse de faire un rapport. L’un des commissaires garde le silence; Delambre se borne à dire « Des observations, des expériences, et surtout ne commençons point par attaquer Newton » Cuvier, plus dédaigneux encore, déclare qu’un tel travail n’est pas fait pour occuper une académie, et l’on passe à l’ordre du jour.

Ainsi cette guerre, imprudemment entreprise contre Newton, se terminait par un désastre. On peut dire que ce fut là le grand souci de la vie de Goethe, bien plus encore que l’insuccès provisoire de ses essais en histoire naturelle. Sans doute il sentait instinctivement que la Métamorphose des plantes aurait son jour dans la science. Cette assurance dans l’avenir l’abandonnait un peu quand il s’agissait de sa chère théorie, si rudement malmenée dans le monde scientifique, et que ses infortunes lui rendaient plus chère encore. Il y revient constamment, se plaignant de l’ingratitude