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que, par la grande lutte entre le sujet et l’objet, cette lutte qui ne sera peut-être jamais terminée, nous scellâmes une alliance qui ne fut jamais rompue et qui fut suivie des plus heureux résultats. Pour moi en particulier, ce fut un nouveau printemps dans lequel on vit tout germer, tout éclore, la sève s’épanouir en rameaux et s’élancer joyeusement au dehors Annales, traduction déjà citée, p. 223. </ref>. »

Il était dans la destinée de Goethe, et je dirai même dans la condition humaine, de voir contester par les savans ou systématiquement supprimer par leur indifférence affectée le premier résultat de ses expériences et de ses intuitions en histoire naturelle. Il ne fut pas plus heureux pour ses travaux d’anatomie qu’il ne l’avait été d’abord pour la métamorphose des plantes. A Weimar, il était devenu passionné pour la botanique. A Iéna il était devenu anatomiste. Il avait suivi les cours, disséqué sous la direction du professeur Loder[1] dès l’année 1780, il était sur la voie d’une idée féconde, qui n’est rien moins que l’idée-mère de l’anatomie philosophique. Il nous dit que dès cette époque il travaillait à l’établissement d’un type organique il lui fallait par conséquent admettre que toutes les parties de l’animal, prises ensemble ou isolément, doivent se trouver dans tous les animaux. Or Camper et Blumenbach niaient l’existence chez l’homme de l’os intermaxillaire, et fondaient sur ce caractère une différence essentielle entre l’homme et le singe. Goethe essaya de prouver que c’était une erreur, et par une série d’expériences et de dessins comparatifs il réussit à donner à son opinion la force d’une démonstration. Il publia ses recherches en 1786 dans un mémoire De l’existence d’un os intermaxillaire supérieur chez l’homme comme chez les animaux. Ce fut une des grandes émotions de sa vie. Je doute qu’aucune création de son art lui ait donné une joie aussi vive que la découverte de cet os équivoque, restitué au squelette humain. Il écrit à Mme de Stein qu’il en est ému jusqu’au fond des entrailles. Malheureusement les partisans de Camper et Camper lui-même restèrent incrédules. Ce n’est que plus tard que la modeste découverte du poète obtint droit de cité dans la science. Une idée beaucoup plus importante, l’analogie du crâne et de la vertèbre, conçue par lui dès 1790, ne fut développée qu’en 1820. La conséquence de ces divers travaux était la conception du type ostéologique. C’est dans cet ordre d’études que l’esprit généralisateur du poète pouvait se déployer à l’aise. Dans une foule de mémoires, dont le plus important est l’Introduction à d’anatomie. comparée fondée sur l’ostéologie, Goethe, poursuivant

  1. Œuvres d’histoire naturelle de Goethe, traduction Ch. Martins, p. 93.