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belle étude, prenait part à mes plaisirs. C’était en effet une science bien faite pour séduire que celle qui se présentait sous la forme d’un beau jeune homme, les mains chargées de plantes en fleur et donnant à chacune d’elles son nom d’origine grecque, latine ou barbare; aussi la plupart des hommes et même quelques dames cédèrent à l’entraînement général. » C’est tout un petit tableau, qui nous donne les impressions de l’artiste mêlées aux premières joies du savant. Dietrich ne savait rien au monde que la botanique, mais il connaissait la nomenclature de Linné et l’apprenait à Goethe par routine plutôt que par méthode. « J’entrai ainsi, d’une manière nouvelle, en communication avec la nature; je jouissais de ses merveilles, et en même temps les dénominations scientifiques qui frappaient mon oreille étaient l’écho lointain de la science, qui me parlait du fond de son sanctuaire. »

Bientôt cependant Linné ne lui suffit plus. Cette terminologie, fondée sur les apparences extérieures, lui semblait être d’une utilité purement empirique, pratique; elle n’apportait aucune lumière avec elle sur le mode de production et les vrais rapports des plantes. Caractériser les genres avec certitude et leur subordonner les espèces d’après cette méthode lui parut un problème insoluble. Il lisait bien, dans les manuels linnéens, comment il fallait s’y prendre, mais il ne pouvait espérer que jamais une seule détermination resterait incontestée, puisque, du vivant même de Linné, ses genres furent divisés, morcelés, et quelques-unes de ses classes détruites. Il en concluait que le plus sagace, le plus ingénieux des naturalistes n’avait soumis qu’en gros et d’une manière tout artificielle la nature à ses lois. « Mon admiration pour lui n’en fut pas diminuée mais j’étais dans une perplexité singulière, et l’on peut se figurer quels efforts un écolier autodidactique comme moi dut faire pour sortir d’embarras. » Il comprit qu’au lieu de passer sa vie à poursuivre et à coordonner péniblement les phénomènes innombrables que présente un seul règne, il lui restait une autre voie plus conforme à la nature de son esprit. Les phénomènes de la formation et de la transformation des êtres organisés l’avaient vivement frappé. « La nature, dit-il énergiquement, lui semblait lutter avec l’imagination à qui des deux serait plus hardie et plus conséquente dans ses créations. Les séjours fréquens qu’il faisait alors à la campagne furent utilisés pour l’étude autant que pour le plaisir. Ces deux sortes d’occupations si contraires s’accordaient sans peine dans la vie de Goethe, et n’en troublèrent jamais l’harmonie. Il remarqua que chaque plante choisit le site qui réunit toutes les conditions propres à la faire prospérer et à la multiplier. Il observa en outre que placées dans certains lieux, exposées à certaines influences, les es-