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de ses antiques habitans. Oui, ces montagnes avaient été un jour couvertes par les flots. Si ce fut avant ou pendant le déluge, c’était pour moi une question indifférente. Il me suffisait de savoir que la vallée du Rhin avait été un golfe immense; on ne pouvait m’en ôter la conviction. » Il prenait parti pour la vraie science, celle qui n’examine que la réalité, contre la science de secte et de coterie, qui n’admet de la réalité que ce qui est favorable à son étroit point de vue, pour la théorie de Buffon, établie sur l’expérience, contre les hypothèses ridicules de Voltaire, fondées sur la passion. Du reste, il proclamait nettement qu’il n’entendait faire que de la science désintéressée, « ne songeant qu’à s’avancer dans la connaissance géologique des terres et des montagnes, quel que pût être le résultat de ses recherches[1]. » Le véritable esprit scientifique s’annonce.

A Weimar, dès le commencement de son séjour dans cette ville, qu’il devait associer à l’immortalité de son nom, c’est d’abord Linné, dont il devait dire un jour « qu’après Shakspeare et Spinoza il est l’homme qui a agi sur lui avec le plus de force, » c’est Rousseau et les Rêveries d’un Promeneur, toutes empreintes d’une sorte de piété végétale, qui absorbent son attention. Dans les chasses du grand-duc, il aimait à interroger les gardes et les forestiers sur les différentes essences d’arbres, sur le mode et les lois de la reproduction. Il consultait des herboristes possesseurs de recettes mystérieuses, qui de père en fils préparaient des extraits et des esprits,[2]. Il parcourait les bois immenses de la Thuringe, cherchant à se rendre compte de la nature et de la formation de ce sol couvert de forêts aussi vieilles que le monde. Le docteur Bucholz, riche, plein d’ardeur et d’activité, excellent naturaliste et chimiste habile, fondait, sous les auspices du prince, une école pratique de botanique dans de vastes terrains aérés et bien exposés au soleil. Goethe s’intéressait vivement à ces essais, avec le grand-duc lui-même, avec toute la belle société de Weimar. « Les sciences et la poésie les études profondes et la vie active se partageaient notre temps, et nous rivalisions de zèle entre nous. » il emmenait avec lui aux bains de Carlsbad un jeune paysan, Dietrich, botaniste de race, comme beaucoup de ses compatriotes, et petit-fils d’un naturaliste de campagne, connu du grand Linné lui-même. Dietrich était avant le jour dans les montagnes, et apportait, au milieu de l’élégante société réunie près de la source, un riche butin de fleurs. « Tout le monde, mais surtout ceux qui s’occupaient de cette

  1. Vérité et Poésie, p. 422.
  2. œuvres d’histoire naturelle de Goethe, trad. Ch. Martins, p. 188.