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et de l’intelligence, les faiblesses et les énergies du caractère. Tout est plus ou moins élastique et incertain, et se laisse façonner plus ou moins; mais la nature n’entend pas ces plaisanteries elle est toujours vraie, toujours sérieuse, toujours sévère; elle a toujours raison, et les fautes et les erreurs sont ici toujours de l’homme. Elle méprise l’impuissant; elle ne se donne et ne révèle ses secrets qu’au puissant, au sincère, au pur[1]. »


II.

Cependant, quand on suit pas à pas l’histoire de l’esprit de Goethe, on est obligé de convenir que cette ardeur de savoir eut chez lui ses irrégularités et ses écarts. Nous avons vu, dans sa première jeunesse, avec quel zèle il poursuivit les sciences chimériques, un instant même l’alchimie, dont son imagination garde des traces profondes et qui tient une si grande place dans Faust. — Le grand mystère, l’attire irrésistiblement. Parfois la lenteur des voies régulières irrite son impatience; il se jette dans les chemins de traverse et essaie de surprendre la nature, quand il désespère de la comprendre. Il revient bien vite aux vraies méthodes et à l’expérimentation. Lui-même a pris soin de nous exposer la suite de ses études, l’origine et la fortune de ses idées scientifiques, soit dans une série d’articles et de mémoires sur l’histoire de ses travaux anatomiques et de ses études botaniques, soit dans ses correspondances et ses conversations, où, revenant sans cesse sur ses occupations favorites, il montre en pleine lumière l’irritation que lui ont causée ses déceptions et ses mécomptes scientifiques, et laisse parler en liberté cette passion d’amour-propre avec laquelle il a défendu sa gloire de physicien et de naturaliste, la seule qui lui fût contestée.

Dès l’âge de vingt ans, à Strasbourg, où il est censé étudier la jurisprudence, nous le voyons abandonner les professeurs de droit pour courir aux leçons d’anatomie, aux cliniques; puis, épris d’une science nouvelle, il étudie en géologue la vallée du Rhin; il juge sur place la polémique superficielle et souvent puérile de l’école de Voltaire; il perd toute confiance « dans le vieil enfant opiniâtre, » lorsqu’il apprend que, pour discréditer la tradition d’un déluge, Voltaire nie l’existence des coquillages fossiles. « Pour moi, j’avais vu de mes yeux assez clairement, sur le Baschberg, que je me trouvais sur un ancien lit de mer desséché, parmi les dépouilles

  1. Conversations, etc., t. II, p. 90, 94, 225, 305, 308.