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l’on contemple non plus des phénomènes secondaires, mais un phénomène primordial. « Quant à arriver plus haut, quant à aller plus loin, cela nous est refusé, ici est la limite; mais d’ordinaire ce simple spectacle ne suffit pas aux hommes ils croient qu’ils pourront pénétrer plus avant, et ils ressemblent aux enfans qui, lorsqu’ils ont regardé dans un miroir, le tournent aussitôt pour voir ce qu’il y a derrière[1]. » — « L’homme n’est pas né pour résoudre le problème du monde, mais pour chercher à se rendre compte de l’étendue du problème et se tenir ensuite sur la limite extrême de ce qu’il peut concevoir. Ses facultés, par elles-mêmes, ne sont pas capables de mesurer les mouvemens de l’univers, et vouloir aborder l’ensemble des choses avec l’entendement seul, avec la pensée spéculative, quand elle n’a qu’un point de vue si restreint, c’est un travail vain. »

Ce n’est donc pas par la métaphysique, par le travail illusoire des facultés purement subjectives, que l’on pourra résoudre, même partiellement, l’énigme du monde. Ce que l’on peut en résoudre ne se révèle qu’à l’observation intelligente et passionnée de la réalité; mais aussi quel bonheur quand il arrive que, dans ce livre divin ouvert devant nos yeux, quelque syllabe a été déchiffrée par un opiniâtre effort! « Il n’y a rien au-dessus de la joie que nous donne l’étude de la nature. Ses secrets sont, il est vrai, d’une profondeur infinie; mais il a été permis et accordé aux hommes de regarder toujours plus avant. Et c’est justement parce que nous ne pouvons atteindre le fond qu’elle exerce sur nous un charme éternel; toujours nous voulons approcher plus près, tenter de nouvelles découvertes. Que de précautions ne faut-il pas pour s’assurer ou pour étendre cette précieuse conquête ! Quelle vigilance que de sagacité ! « Il est souvent arrivé à la nature de laisser échapper un de ses secrets malgré elle; il faut épier l’occasion où elle se livre sans le vouloir. Tout est écrit quelque part, mais non pas où nous le supposons, ni à une seule place; ainsi s’explique ce qu’il y a d’énigmatique, de sibyllin, de discontinu dans nos observations. La nature est un livre immense renfermant les secrets les plus merveilleux, mais ses pages sont dispersées à travers tout l’univers; l’une est dans Jupiter, l’autre dans Uranus. Les lire toutes est donc impossible, et il n’y a pas de système qui puisse triompher de cette insurmontable difficulté. » Aucune autre étude ne fait mieux juger la force d’esprit et d’âme, la vigueur intellectuelle et même morale des hommes qui s’y livrent. Elle apprend à les connaître tels qu’ils sont. « On n’aperçoit pas aussi bien ailleurs les erreurs des sens

  1. Conversations, t. II, p. 95.