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dition humaine; attribuez-le surtout à la supériorité de sa méthode et de sa culture intellectuelle, tout entière tournée vers le dehors, réparant les. défaillances et les appauvrissemens de l’esprit par un commerce assidu avec la réalité vivante du monde, toujours jeune, qui lui communique quelque chose de sa fécondité et de son éternité. Si sa force d’âme et de génie se renouvelle incessamment, c’est qu’elle participe dans sa mesure aux énergies créatrices qui renouvellent, sans s’épuiser jamais, la vie cosmique. Il ne s’est pas enfermé dans l’enceinte glacée des mondes abstraits que crée avec une stérile puissance la raison pure; il ne s’est pas condamné, comme tant d’autres de ses contemporains, à vivre, — si c’est là vivre, — avec les pâles abstractions qui peuplent les espaces vides, sans forme et sans lumière, de la pensée intérieure, isolée, séparée de l’espace hospitalier et bienfaisant où se déploient les magnificences du monde sensible. S’il y a eu chez lui quelque supériorité de talent, elle s’explique par ce fait seul, qu’il n’a jamais déserté la source où le talent s’avive et s’alimente. Il a toujours vécu dans la nature, avec elle, par elle; il a vécu de sa vie, il s’est uni à elle par l’art et par la science.

L’art et la science, Goethe les a réconciliés en effet dans l’harmonie de son libre et puissant esprit. Ces deux formes de la pensée humaine, sinon opposées, du moins si nettement distinctes et d’ordinaire séparées, l’une s’efforçant de créer ce qui n’est pas, l’autre de comprendre ce qui est, — l’une se rapportant à un fait considérable de l’esprit humain, la fiction, l’autre à un fait non moins considérable, l’examen, —- toutes deux supposant des facultés et des dons presque contraires, se rencontrent ici au plus haut degré de culture et de perfectionnement. L’éternelle tentation de Goethe, ç’a été l’universalité des choses qu’il a poursuivie avec des alternatives d’ardeur et de désespoir, qu’il a essayé d’atteindre par l’universalité de la science. Sa passion de connaître a égalé au moins sa puissance de créer. Sa science est presque aussi vaste que son génie. Dans le long espace d’années qu’il remplit de ses travaux poétiques et de sa gloire, il ne cessa presque pas un jour de solliciter la nature par ses méditations, par ses expériences, de l’épier pour surprendre ses révélations.

Deux des plus brillantes manifestations du monde sensible, la forme et la lumière surtout, semblent avoir eu pour sa curiosité d’artiste et de savant un irrésistible attrait. Ces deux manifestations sont liées entre elles dans la réalité comme elles le furent dans les goûts et les études de Goethe. Sans la forme, qui donne les surfaces, la lumière n’existerait pas pour nous. Sans la lumière, que serait la forme? Pure révélation d’un sens unique, le toucher, elle