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la Revue a plus d’une fois retouché le portrait du fils de Chatham, et ce n’est pas à moi de dire quelle main a pris soin de relever en contraste l’image de son rival[1].

Les circonstances de ces derniers temps devaient, même parmi nous, donner des partisans à la mémoire de Pitt. Les adversaires des révolutions étaient en faveur. Le temps est loin (comment a-t-il pu exister jamais?) où une assemblée sérieuse déclarait solennellement, « au nom du peuple français, que Pitt, ministre de George III, était l’ennemi du genre humain. » Et, commentant dignement ce texte, Barrère, qui ornait de bel esprit le jacobinisme, croyait peindre pour l’histoire en représentant Pitt « comme un jeune esclave d’un roi en démence, insensible à toute autre gloire que celle des oppresseurs, qui n’a de la politique que les crimes, du gouvernement que les calculs, de la fortune que l’avarice, de la renommée que les intrigues. » Voilà une heureuse suite d’antithèses et de la rhétorique bien placée!

Ces absurdités sont bien passées. On place en France Pitt à son rang, plus haut peut-être. Il règne encore une prétention à l’esprit de gouvernement qui lui est très avantageuse, et lui aussi, il profite de la réaction. Ce n’est pas que j’aie rien à objecter aux excellens et solides articles qu’ici même M. Calmon a consacrés à l’examen de son administration en le considérant surtout comme chancelier de l’échiquier[2]. Pitt avait sur les finances d’un grand état autant de lumières qu’aucun de ses prédécesseurs et presque toutes celles qui avaient commencé à se répandre de son temps. Ses illusions mêmes sur l’amortissement étaient celles de plus d’un grand esprit, et tout au moins doit-on reconnaître encore que l’existence d’un fonds de rachat annuel de la dette est une garantie d’ordre et un signe de prévoyance; mais c’est surtout en lui l’homme politique qui faisait le grand financier. La fermeté, la hardiesse, la persévérance, donnaient seules une pleine efficacité aux conceptions de son esprit pour le rétablissement et le maintien de la fortune publique, ou pour la création des ressources extraordinaires qui devaient soudoyer une. guerre universelle. C’est le caractère et la volonté qui ont fait de lui un ministre des finances hors ligne. Quelques louanges cependant qu’il ait méritées sous ce rapport, il nous paraît toujours que son administration se divise de droit en trois époques, qui peuvent être appréciées différemment. Nous sommes de l’avis de lord Macaulay. La première, celle qui s’étend de 1784 à 1792, est celle qui peut être admirée sans restriction. Plu-

  1. Voyez la Revue du 1er décembre 1854 et du 1er janvier 1856.
  2. Voyez la Revue du 15 mai et du 1er juin 1864.