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l’Autriche, soutenant les princes électeurs que l’assemblée menace et que d’ailleurs la révolution a privés de leurs possessions en France, répondent, elles aussi, par un langage menaçant, appuyé d’un congrès armé. Louis XVI ne peut pas se dissimuler qu’une telle attitude de la part des souverains ne soit une déclaration de guerre; mais il souhaite la guerre en effet, pourvu qu’elle soit faite par les puissances en leur propre nom et non pas au sien, ni au nom des princes ses frères. Si les Français sont vainqueurs, ce qui est peu probable à ses yeux, il espère profiter en quelque chose d’un succès auquel il aura paru s’associer. S’ils sont battus, il interviendra au bon moment pour leur faire obtenir des conditions moins dures que celles qu’ils devraient attendre; peut-être aussi, avec l’inconstance qui les caractérise, prendront-ils en haine cette révolution, cause de leurs revers et de tant de malheurs, pour se jeter de nouveau dans les bras de la royauté.

Louis XVI est tout entier dans cette curieuse lettre à M. de Breteuil avec sa bonté, car, s’il appelle la guerre étrangère, c’est, comme il le dit sincèrement, parce qu’il croit éviter ainsi la guerre civile, qui lui fait horreur, mais avec son aveuglement, puisqu’il croit pouvoir jouer sans l’extrême péril ce double jeu, puisqu’il estime que ce sera, pour les Autrichiens et les Russes, l’affaire d’une demi-campagne de triompher de cette émeute, puisqu’il imagine enfin que cette nation, dans son malheur, ne cherchera de refuge que dans le sein d’une royauté qui se sera ainsi séparée d’elle. S’il connaissait vraiment le caractère des Français, que n’invoquait-il en son propre nom cette suprême ressource de la guerre étrangère pour entraîner tout un peuple à sa suite, sur la frontière, au nom de la patrie menacée ? Et par quelle fatalité, quand les annales de notre monarchie, celles mêmes de la famille de Bourbon, offrent tant de chefs animés jusqu’à l’excès de l’ardeur militaire, le dernier roi de l’ancienne France a-t-il été si entièrement privé d’une heureuse complicité avec le caractère national?

Fersen ne manquait pas d’informer Gustave III du nouveau plan formé par Louis XVI la précieuse lettre inédite par laquelle il l’instruit nous donne les preuves les plus irrécusables de la part active que Marie-Antoinette y avait prise. « Sire, écrit-il au roi de Suède le 1er janvier 1792, j’ai l’honneur d’envoyer à votre majesté la lettre que la reine m’a chargé de lui faire passer, avec la copie de celle que cette princesse écrit à l’impératrice et à laquelle elle se réfère. » Il s’agit évidemment d’abord d’une lettre analogue à celles du 3 décembre que nous avons citées, et par lesquelles Louis XVI avertissait les puissances de ne pas considérer comme libre son acceptation de l’acte constitutionnel; il s’agit ensuite de la lettre