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peur et se soumettaient à dissiper les rassemblemens sans que les puissances eussent parlé. Ce serait, je crois, ce qui pourrait arriver de pis. Comme la démarche m’a été dictée, on m’en saurait peu de gré; les esprits des factieux seraient extrêmement enflés et arrogans; le crédit se remonterait et soutiendrait encore la machine pour quelque temps. D’un autre côté, les émigrans auraient le poignard dans le cœur ; ils se porteraient indubitablement à quelques entreprises désespérées. Ce qui pourrait arriver de plus heureux et où l’on doit diriger tous les soins, c’est que les puissances s’emparent de l’affaire, protègent les électeurs, mais en même temps séparent les émigrans en leur donnant sûreté et protection. Elles pourraient faire tenir ici à peu près ce langage : « Vous avez voulu attaquer le corps germanique, dont nous sommes les protecteurs et les garans, sous prétexte du rassemblement de vos concitoyens, qui vous inquiétait. Nous avons bien voulu faire cesser ce sujet d’inquiétude nous nous chargeons de retenir les émigrans et de faire séparer leurs rassemblemens armés, mais c’est à condition que vous nous donnerez satisfaction sur telle et telle chose, et que vous ayez un gouvernement qui ait une force et une stabilité sur la foi desquelles on puisse compter. Sans cela, nous vous regarderons comme un repaire de brigands et l’écume de l’Europe; »

« Ce langage en imposerait certainement et ferait pâlir les plus hardis. Il me paraît impossible que nous y fussions compromis… Reste la guerre, si elle était inévitable. L’état physique et moral de la France fait qu’il lui est impossible de la soutenir une demi-campagne; mais il faut que j’aie l’air de m’y livrer franchement et comme je l’aurais fait dans des temps précédens. Il y a deux chances pour elle. Il est difficile de croire qu’elle soit heureuse si par hasard cela arrivait, m’étant montré franchement, et la guerre donnant toujours plus de moyens au gouvernement, je peux regagner quelque chose par là; mais cette hypothèse est la moins vraisemblable. Si elle est malheureuse, vous connaissez les Français, comme ils vont vite d’une extrémité à l’autre; ils seraient bientôt aussi abattus qu’ils sont orgueilleux avant, et peut-être ne voudraient-ils laisser aucun reste du nouvel édifice, s’ils voyaient bien qu’il leur a attiré tous les malheurs. Il peut exister une crainte, et sûrement les factieux chercheraient à tourner les esprits de ce côté-là: ce serait de s’en prendre à moi de leurs malheurs, et de me faire soupçonner de les désirer pour regagner la puissance. C’est ma conduite qui doit écarter tous ces soupçons, et surtout de ne rien laisser pénétrer de mes relations avec l’étranger. Il faut que ma conduite soit telle que dans le malheur la nation ne voie de ressource qu’en se jetant dans mes bras… Il faudrait que je pusse servir le royaume en obtenant, par mon entremise, la paix la moins désavantageuse qu’on pourrait. Voilà une bien longue instruction mais j’ai voulu tout prévoir, et on pourra m’indiquer les éclaircissemens qu’on pourrait encore désirer. »


Il a été inévitable d’abréger ici cette lettre du roi, longue et confuse à l’excès dans l’original : on en distinguera mieux son plan. Louis XVI demande que les puissances étrangères, principalement