Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

absolue » La lettre de Gustave Ill, avec sa haine des monarchiens, c’est-à-dire d’hommes intelligens, honnêtes, dévoués, bien accueillis de Louis XVI lui-même, comme M. de Saint-Priest, M. de Ségur, et, à côté d’eux, La Marck, Mercy, Fersen, pouvait servir de manifeste à ces royalistes si redoutés du roi.

S’il comptait avant tout sur l’appui de Catherine II, Gustave était cependant informé des vrais calculs de l’impératrice par le fidèle Stedingk. Devenu ambassadeur auprès de la tsarine après avoir bravement combattu ses troupes en Finlande, Stedingk était bien placé à Pétersbourg pour observer et juger tout un côté de la contre-révolution. Ses dépêches, toujours vivement écrites, intéressent en même temps par la rectitude des vues qui y sont exprimées et par un sentiment d’affection profonde pour la France, où il avait trouvé jadis, avec son ami Fersen, un si bon accueil, et qu’il ne cessait d’aimer.


« Tout le monde s’applique ici, écrit-il de Pétersbourg en juillet 1791, à détourner l’impératrice de donner des secours au roi de France. Le prince Potemkin n’en parle qu’en haussant les épaules. Quant à l’impératrice, il y a des points pour lesquels Dieu le père ne gagnerait rien sur elle. Elle se bornera à bien recevoir les réfugiés français et à se ménager la gloire de la protection. M. de Sombreuil, envoyé ici pour solliciter de l’emploi en faveur de plusieurs personnes de distinction, a été fort bien reçu. Ce jeune homme, rempli de confiance, allait s’en retourner tout joyeux; connaissant les êtres, je l’ai engagé à rester encore quelques jours pour se faire mieux articuler les promesses vagues qu’on lui avait faites. Pour M. de Meilhan, je crois qu’il n’est ici que pour rédiger les ouvrages littéraires de l’impératrice. Les meilleurs alliés sur lesquels votre majesté puisse compter, c’est son génie, son courage et son propre pays… L’impératrice ne se mêlera pas directement des affaires de France; elle répond que la saison est trop avancée, qu’on est trop loin, qu’il faut attendre les réponses des autres cours… Ah! sire, de tous les princes qui portent des couronnes, il y en a bien peu dont les sentimens répondent à leur fortune. Je suis vivement affecté de la tournure que prennent les affaires. Cette pauvre France, cette reine infortunée, mes amis exilés traînant à l’étranger une existence malheureuse, tout cela me navre le cœur! »


Le cabinet de Vienne, quoique particulièrement intéressé par la parenté à défendre la famille royale, n’avait pas donné de meilleure réponse que celui de Pétersbourg. Ce n’est pas toutefois que les deux frères de Marie-Antoinette aient montré d’abord la même attitude. M. d’Escars raconte dans ses mémoires l’étrange accueil de Joseph II quand il lui avait porté, à la fin de 1789, tout le détail des journées du 5 et du 6 octobre. «M. le comte d’Artois, qui m’envoyait, présumait beaucoup trop, dit-il, de la sensibilité dont