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longtemps dépositaire de leur confiance, ne communiquait avec eux qu’en latin. Ainsi s’est établi le mode sommaire et laconique de communication usité entre le prince et le chef de son conseil. George III parlait bon anglais, et il aimait à se mêler de ses affaires. Cependant il voyait très peu ses ministres, et les plus importantes se traitaient par écrit entre M. Pitt et lui. C’est par lettre que le premier obtint le renvoi du chancelier, lord Thurlow (1792). C’est par lettre qu’il fit décider le départ de lord Malmesbury comme négociateur avec la France (1796). Et lorsqu’après dix-sept ans d’une laborieuse et brillante administration, il résolut d’y mettre un terme, si le roi se refusait à ses vues libérales en faveur des catholiques, la proposition, le refus et la démission, tout fut épistolaire (1801). Du premier jour où la correspondance s’engagea jusqu’à celui où un nouveau ministère fut formé, c’est-à-dire pendant une crise ministérielle de cinquante-deux jours, sur lesquels la folie du roi n’en prit que dix, M. Pitt ne le vit pas avant le dernier, c’est-à-dire avant l’audience de congé où il remit le sceau de l’échiquier.

Ces singularités contribuent à expliquer comment depuis peu on a réussi à exposer avec beaucoup d’exactitude, jour par jour quelquefois, et même dans l’occasion heure par heure, les événemens tant publics que secrets de l’histoire du gouvernement britannique dans ce siècle. C’est ainsi qu’en écrivant son intéressante vie de Pitt, lord Stanhope a pu composer un ouvrage d’un genre nouveau, dont l’imitation tentera les écrivains qui ont plus de conscience que d’amour-propre. C’est une histoire où l’historien s’efface. Il se retire dans la coulisse toutes les fois qu’il peut mettre en scène et faire parler le héros et les autres personnages de la pièce, et il le peut souvent, grâce à la masse considérable de témoignages contemporains, presque toujours authentiques, dont il a pu disposer. Lorsqu’il tient ainsi dans ses mains la preuve écrite, il la donne textuellement ou l’analyse de si près qu’il n’y ajoute rien du sien. Il ne s’amuse point à faire en son nom un récit travaillé à l’effet, à prodiguer les portraits brillans et les réflexions ambitieuses. Il fait du talent dont il a donné tant d’excellentes preuves le plus sobre usage, ne suppléant à l’éloquence des faits que lorsque la nécessité l’y contraint; mais en ayant l’air de se borner à rechercher curieusement les autorités et les citations, à les ranger avec ordre, à les comparer avec soin, à les interpréter avec justesse, il compose, sans pour ainsi dire y prétendre, le récit le plus instructif, le plus complet, le plus attachant et le plus vrai.

Aussi qu’arrive-t-il? Lord Stanhope est plus consciencieux qu’impartial. Du moins sa juste admiration pour un homme d’état qui