Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/127

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

çaient au secours des émigrés; si l’on avait quelques doutes, les initiés répondaient en confidence que ces troupes ne marchaient que la nuit, pour mieux surprendre les démocrates. Le triomphe obtenu, on rétablirait l’ancienne constitution avec les trois ordres, car de prêter l’oreille au système représentatif, c’eût été conspirer avec l’Angleterre et avec l’esprit nouveau. Si l’émigration même, dans ce qu’on appelait le parti du roi, offrait de tels conspirateurs, c’étaient les pires ennemis. En attendant l’intime alliance de l’Autriche, de la Prusse et de la Russie, dont on ne doutait pas, on acclamait le roi de Suède.

Jusqu’à Varennes, Gustave ne s’était pas entièrement livré à ce parti extrême; il distinguait même l’excès choquant de ses vaines prétentions. Il écrivait par exemple en arrivant à Aix-la-Chapelle, le 16 juin 1791. « J’ai trouvé ici presque tout ce qu’il y a de plus grand en France. Tous ces illustres proscrits forment une société très agréable. Ils sont tous animés d’une haine égale contre l’assemblée nationale, et aussi d’une exagération sur tous les objets dont vous n’avez aucune idée. C’est un spectacle vraiment curieux, et en même temps triste, de les entendre et de les voir. » Gustave III ne conserva point après Varennes cette modération, qu’autour de lui tout contribuait à lui faire oublier. On le saluait comme le protecteur avoué de tous. Marie-Antoinette lui envoyait une épée d’or avec cette devise : Pour la défense des opprimés, et les feuilles parisiennes, en l’insultant, augmentaient son crédit. Il tenait cour à Aix-la-Chapelle avec Fersen, d’Escars, le baron de Breteuil, M. et Mme de Saint-Priest, de Calonne, le marquis de Bouillé, Mmes d’Harcourt, de Croï et de Lamballe. Le comte d’Artois, le prince de Condé et ses fils venaient de Trèves, où ils avaient transporté leur quartier-général, pour le visiter, et se rencontraient avec les délégués des petits princes allemands, surtout du prince-évêque de Spire, de l’électeur de Mayence et de l’électeur de Trèves, oncle du comte d’Artois. Aux émigrés Gustave offrait toute son assistance[1] : trois fois la semaine sa table était servie pour eux à cent couverts, ce qui causait un sensible plaisir à une

  1. La princesse de Lamballe lui écrivait deux mois plus tard «Sire, voulez-vous bien recevoir les hommages de ma reconnaissance ? M. le baron de Staël, d’après vos ordres, m’a envoyé mes diamans, grâce à vos bontés. Je suis hors de toute inquiétude ils sont arrivés à très bon port. Votre majesté m’a permis de lui en mander la réception. Cette circonstance est trop heureuse pour moi, puisqu’elle me met à position de lui dire combien les bontés qu’elle a bien voulu me témoigner à Aix-la-Chapelle seront à jamais gravées dans mon cœur, et les vœux que je fais de la voir bientôt le régénérateur du bonheur de tous les bons Français. Je suis avec un profond respect, sire, de votre majesté la très humble et très obéissante servante, M. L. T. de Savoye. Ce 29 août 1791, à Aix. (Lettre inédite, au moins en France.)