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gendarmerie, réforma d’un coup quatre-vingt-cinq gendarmes, qui n’étaient pas d’assez beaux hommes à son gré. L’infanterie faisait l’exercice avec des instructeurs prussiens ou suédois, et en se servant de bâtons à défaut de fusils; la cavalerie, en attendant que Gustave III lui fit don de cinq mille chevaux, ne figura que par les cadres brillans de ses officiers. En revanche, on avait une cour; nul n’y était admis qu’assisté de quatre gentilshommes qui attestaient la pureté de ses principes, et, pour compléter l’illusion, le comte d’Artois y trônait avec ses maitresses. On appelait Coblentz la cour ou la ville, et Worms était le camp. Il y avait en effet, non pas précisément dans Worms, cette ville impériale ne l’eût pas souffert, mais dans le château où résidait l’électeur, un corps de noblesse militaire peu nombreux, mais bien commandé par le prince de Condé. Ce groupe-là observait une certaine discipline, entretenait des relations importantes avec la noblesse non émigrée de Lorraine et d’Alsace, et menaçait particulièrement Landau.

Worms et Coblentz convenaient d’ailleurs beaucoup mieux que Turin aux projets des princes. Ils s’y trouvaient à peu de distance de Paris et en relations faciles avec les puissances dont ils convoitaient le plus les secours. Bien plus, l’ardeur intempérante et les préjugés mêmes de l’émigration rencontraient des sympathies qui lui étaient chères auprès de ces petites souverainetés ecclésiastiques et laïques de l’ancien empire d’Allemagne particulièrement groupées dans la région du Rhin et dans celle du Haut-Danube. Le parfum tout féodal qui s’exhalait de ces cours causait à nos émigrés de douces illusions, et leur rendait, au milieu de l’exil, quelques traits d’un idéal qu’en France même ils n’avaient pu rêver qu’à peine. Gustave III en pensait ainsi quand il se sentait attiré vers Aix-la-Chapelle et Spa, où lui venaient non-seulement de France, mais des principautés allemandes, tant d’hommages. Membre lui-même du corps germanique, et la couronne de Suède étant signataire du traité de Westphalie, il songeait à prendre en main, si l’empereur manquait à son devoir, les griefs de ces princes d’Allemagne que la révolution française dépouillait, en dépit de ce traité, de leurs possessions d’Alsace. Faisant d’ailleurs cause commune avec l’émigration française, il aspirait à en être le chef et le sauveur. Que la Russie lui accordât ce qu’il lui fallait de subsides, et il saurait bien, même sans le concours des puissances du midi, si leur apathie ou leur égoïsme les retenait, trouver une armée suffisante pour vaincre la révolution; il montrerait ce dont le nord était capable. Or dans ces premiers calculs il ne manquait pas de faire entrer les ressources que lui offrait, en dehors de la Prusse et de l’Autriche, le concours des états allemands. Il pensait que ces princes germaniques détes-