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de la race, c’est l’amour de la tribu, le soin des intérêts et de la réputation de la petite patrie ambulante. C’est une faute d’aller piller dans le voisinage de son territoire; c’est un crime honteux d’enlever une femme appartenant à cette grande famille[1].

Les Arabes, à quelque classe qu’ils appartiennent, ont des manières distinguées; ils se piquent de politesse. Leur hospitalité est proverbiale et célébrée de préférence à toutes les autres qualités par des poètes dont les récits sont encore chantés de nos jours. Les Bédouins ont conservé l’antique vertu hospitalière de leur race. Niébuhr raconte que non-seulement les chefs arabes subviennent à tous les besoins des voyageurs, mais qu’au moment du départ ils leur offrent de l’argent pour les aider à continuer leur route. Toujours ils reçoivent l’étranger avec une courtoise bienveillance, et ils défendent autour d’eux qu’on leur cède rien à prix d’argent. L’hospitalité est même considérée comme un attribut de la souveraineté, comme un droit régalien. Le célèbre émir wahabite Saoud fut sur le point de déshériter son fils Abd-Allah, qui, oubliant une fois le touchant et glorieux privilège de son père, s’était permis d’inviter lui-même des étrangers à sa table. A Hail, dans le Djebel-Shammar, le voyageur le plus obscur, s’il n’a pas d’amis ou de connaissances dans la ville, descend au palais du cheik, et il y est hébergé avec ses bêtes aussi longtemps qu’il lui plaît de rester. Lorsque M. Botta explora le mont Saber, le cheik Hassan, dont il était l’hôte, fournit non-seulement à tous les besoins de notre savant et aimable compatriote, mais il donna aux gens de sa propre-maison une somme de 400 thalaris, afin de les récompenser des soins qu’ils avaient eus pour l’étranger, et il voulut faire transporter à ses frais les caisses contenant les plantes recueillies pour le Muséum de Paris. Le fils du même cheik avait prêté à M. Botta une petite somme d’argent lorsque le voyageur européen voulut s’acquitter, l’Arabe lui répondit que s’il acceptait son visage deviendrait noir, c’est-à-dire qu’il serait déshonoré. Il faut reconnaître du reste qu’il y a quelquefois un peu d’ostentation et de vanité dans la manière dont les Arabes exercent l’hospitalité.

Ce qu’il y a de plus particulier dans la nature des Arabes, c’est l’abondance des contrastes. Ainsi leur rapacité est aussi proverbiale que leur libéralité. Ils sont âpres au gain comme beaucoup d’Orientaux, musulmans ou chrétiens; mais, la richesse ne suffit pas pour donner la considération, surtout parmi les Bédouins, qui respectent bien plus la naissance, la sainteté, la libéralité, le courage. D’un autre côté, tel homme qui ne toucherait pas à un

  1. Voir le roman d’Antar, pages 12, 14, 58, 290, 302, 321 de la traduction de M. Devic.