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desseins dépend souvent, dans les affaires comme à la guerre, de circonstances que sait l’administration et qu’elle ne divulgue pas. Le public attribue au caprice ce qui a été l’ouvrage de la nécessité. L’arbitraire tient moins de place qu’on ne croit dans les choses du monde. Là même où règne la publicité des états libres, le secret enveloppe les mouvemens intérieurs des partis et ce que leurs dispositions cachées imposent à leurs chefs, et il faut encore bien de la sagacité pour expliquer leur conduite et les péripéties du drame qui semble avoir eu des millions de spectateurs. Les mêmes événemens interprétés par les lettres de Cicéron ou par ses harangues ne semblent plus les mêmes événemens, et si les premières nous manquaient, comprendrions-nous bien les secondes ? Or la plupart du temps nous n’avons rien qui ressemble aux unes et aux autres, et nous sommes obligés de nous en tenir aux narrations artificielles des auteurs ou aux conjectures de notre propre esprit. Les lecteur, de notre temps ont peine à s’y résigner; pour eux, l’histoire est moins un ouvrage de littérature que de politique; ils y cherchent les nouvelles des siècles comme dans un journal, et ils ont mieux aimé qu’on leur rendît les romans historiques que l’histoire. romanesque.

Ce dénûment de documens originaux n’est pas fort à craindre pour l’historien de la moderne Angleterre. On est surpris, pour peu qu’on étudie les annales de son gouvernement, de la multitude de renseignemens exacts et précis que laissent après eux ceux qui y ont participé. On a remarqué souvent que la littérature anglaise n’était pas aussi riche en mémoires que la nôtre, et il est vrai que dans ces deux derniers siècles elle n’offre qu’un petit nombre d’écrits analogues à ce que l’on appelle de ce nom chez nous. Ce que nos voisins désignent ainsi se compose le plus souvent de pièces, de notes ou de courtes éphémérides complétées et commentées d’ordinaire par une ample correspondance. La lecture de ces recueils est assez ingrate; mais dans beaucoup de cas on en peut tirer une histoire authentique qui semble par momens le calque de la réalité. Plusieurs causes contribuent à procurer aux curieux cette richesse d’informations. Les gouvernemens libres sont pour ainsi dire des gouvernemens collectifs, et ils agissent devant témoins. Les membres des deux chambres sont acteurs dans le drame, ou forment un chœur qui prend part à l’action. Ce sont des spectateurs intéressés, qui reçoivent au moins une part de la confidence des secrets de l’état, et pour peu qu’ils gardent note de ce qu’ils ont vu ou qu’ils en rendent compte dans leurs lettres, ils écrivent pour l’histoire: Le régime parlementaire est une suite de négociations continuelles; un congrès toujours subsistant, un conclave toujours ouvert. Comme pour en enregistrer plus fidèlement les actes, certaines particulari-