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par l’éclat de sa carrière, par ce sentiment d’honneur qui a dominé toute sa vie, le général de Lamoriciere méritait bien tout ce qu’on a pu dire de lui. C’était un de ces hommes comme il s’en trouvera sans doute plus d’une fois tant que la veine française donnera du sang, mais qui plus que tout autre avait de ce vieux sang de la race et savait le prodiguer pour le service, pour l’honneur du pays. Il avait tous les dons d’une nature séduisante et virile, la bonne grâce impétueuse, l’audace spirituelle, le courage riant, l’activité inépuisable et entraînante. Il a eu cette heureuse fortune d’être l’un des premiers, l’un des plus populaires dans cette légion de soldats qui ont fait l’Afrique française par leurs travaux et par leur sang. A mesure qu’on suit ce discours, à mesure qu’on en saisit le plan et le but, une réflexion involontaire vient à l’esprit cependant : si le général de Lamoricière n’eût été que le héros de Constantine ou s’il eût tout simplement commandé un corps d’armée à Magenta, eût-il obtenu ce dernier, ce rare et solennel hommage que lui a rendu Mgr l’évêque d’Orléans ? Les montagnes de l’Atlas et les déserts d’Afrique ne sont-ils pas, à parler franchement, des chemins détournés pour arriver au grand, au glorieux champ de bataille de Castelfidardo ? En d’autres termes, cette oraison funèbre n’est, je le crains, qu’une apologie, une transfiguration passionnée, mêlée d’invectives contre l’Italie, de cette grande et désastreuse tentative de restauration temporelle du saint-siège dont le général de Lamoricière a été le héros, si l’on veut, mais bien plus encore la victime que le héros.

Tout cela est passé, tellement passé, que l’éloquence de M. Dupanloup semble aujourd’hui un peu échauffée, un peu démesurée. Par une coïncidence singulière, au moment où l’impétueux prélat parlait ainsi de l’héroïque vaincu de Castelfidardo, M. de Mérode, l’organisateur de la campagne de 1860, cessait de son côté d’être ministre des armes à Rome ! Le général de Lamoricière s’en va dans la mort, M. de Mérode s’en va dans la disgrâce ; le pape négociait hier avec l’Italie et demain peut-être renouera ces négociations qu’on croyait impossibles : voilà le résultat. Que le général de Lamoricière se soit fait un jour, d’un cœur sincère, avec une complète abnégation, le soldat du pape, comme il le disait, qu’il n’ait vu que le côté juste et généreux dans cette cause qui venait tenter son impatience d’action, dans ce rôle de défenseur d’une citadelle démantelée, ce n’est pas là ce qui est en doute. Le malheur des choses a été pour lui, la faute n’est point à lui. La faute est à la pensée aventureuse d’où est sortie cette entreprise sans avenir possible ; la faute est à ceux qui, fermant les yeux sur tout, ont cru que pour refaire la papauté temporelle il n’y avait qu’à l’armer, à lui donner des soldats et des arsenaux, à la présenter dans une attitude guerrière, sous l’éclair de l’épée d’un chef victorieux, et à la retrancher ainsi dans l’inflexibilité de la résistance. Ils n’ont pas vu que pour le saint-siège se remettre au sort des armes c’était tenter la force, ou tout au moins la mettre à l’aise en lui donnant un prétexte, et la force a répondu ; ils ont voulu faire une expérience, et l’expérience a prononcé. Leur erreur souve