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C’est assurément un des plus brillans modèles de littérature scientifique, et celui qui a écrit ces pages était sans doute destiné par son savoir, par ses idées, aussi bien que par le don de la parole qui était en lui, à exercer un grand et sérieux ascendant ; mais il était trop tard. Vingt ans de travail dans les humbles fonctions de préparateur avaient laissé dans cette mâle organisation des blessures que Gratiolet sentait lui-même quelquefois. Il y a, dans la science comme partout, ceux qui font leurs affaires et ceux qui font les affaires de la science elle-même. Gratiolet était de ceux-ci : ce n’est qu’après la plus laborieuse carrière, après avoir suppléé pendant des années M. de Blainville, sans résultat pour sa position, qu’il arrivait enfin au professorat pour tomber presque aussitôt, au moment où l’avenir s’ouvrait devant lui. Gratiolet n’était pas même membre de l’Académie des Sciences ! Telle qu’elle est, cette vie de l’auteur de la Physionomie n’est pas dénuée d’enseignement. Elle est faite pour prouver à ceux qui entrent dans la carrière que la précision du savoir n’est point incompatible avec la généreuse élévation des doctrines, — j’en appellerais au besoin à ce maître de la science, M. Claude Bernard, — que le spiritualisme va avec tout et couronne tout ; elle est faite aussi pour tempérer les trop faciles illusions de ceux qui croient que même avec du talent ils vont tout emporter et se faire leur place sans effort ; mais ce qu’elle montre surtout par l’exemple d’une irréparable perte, c’est que, dans le choix des hommes appelés à enseigner, les considérations de la science devraient pourtant aussi avoir leur valeur, et qu’il ne faudrait pas toujours laisser les esprits d’élite se briser, pour cause de jeunesse et d’indépendance, sur le seuil où passe triomphante la médiocrité habile.

Analyser les phénomènes du monde sensible est toujours une œuvre laborieuse et absorbante ; analyser les phénomènes du monde moral et politique n’est peut-être pas plus aisé, et l’œuvre est d’autant moins facile que la passion est plus vivement excitée par le mouvement des faits. L’autre jour, je lisais avec l’intérêt qu’inspire naturellement une vive et ardente éloquence le discours prononcé par Mgr l’évêque d’Orléans sur le général de Lamoricière dans la cathédrale de Nantes. Le lieu, les souvenirs, le contraste émouvant d’une si brillante carrière et d’une fin douloureusement obscure, l’éclat de la parole retentissant sur ce sépulcre à peine fermé, tout était fait pour rehausser cette scène où un prêtre, belliqueux lui aussi, venait rendre les honneurs à un soldat en présence de quelques-uns des compagnons d’armes du valeureux mort, devant toute une population sympathique accourue à ces funérailles. Nous sommes un peu désaccoutumés de ces religieux spectacles des oraisons funèbres à la Bossuet. Aujourd’hui comme autrefois ils n’ont pas moins leur grandeur, quand l’homme vaut les hommages qu’on lui rend, quand l’orateur, sans être un Bossuet, est un esprit d’une certaine trempe, et surtout quand la fumée des passions du temps n’obscurcit pas la mâle gravité du langage chrétien. Certes, par sa brillante et honnête renommée,