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laissées par les Égyptiens à Hodeïdah, à Confounda et dans plusieurs places de l’intérieur.

Les Acyres auraient bien voulu retenir leurs conquêtes, et c’est sans doute au dépit qu’ils éprouvèrent alors qu’il faut attribuer leur rupture avec les Égyptiens. En 1835, Méhémet-Ali envoya, pour les réduire, un de ses neveux nommés Ibrahim. Réuni à Taïf dans le Hedjaz, le corps égyptien, composé des 16e et 9e régimens d’infanterie et d’un goum de mille Bédouins, se dirigea contre l’Acyr. Fatigués d’un trajet pénible au milieu des sables, manquant d’eau et de moyens de transport à cause de la lassitude des bêtes de somme, les Égyptiens rencontrèrent une vigoureuse résistance de la part des Acyres, retranchés dans leurs montagnes. Le 16e régiment gravit l’élévation sur laquelle les défenseurs étaient retranchés, tandis que le 9e tournait la position pour détourner l’attention et seconder l’attaque. Ce mouvement dans un pays inconnu fut mal exécuté, et le 9e régiment n’arriva pas à faire sa jonction ; le 16e régiment fut écrasé, et le 9e, qui prit la fuite, poursuivi rudement. Ibrahim fut obligé de se retirer dans le plus grand désordre et avec des pertes considérables. C’était la seconde fois depuis 1815 que les Acyres infligeaient une véritable défaite aux troupes du vice-roi. On a déjà vu que les Égyptiens se vengèrent de ce nouveau désastre sur le grand-chérif de La Mecque, Ibn-Aoun, qui fut alors envoyé au Caire. Cependant Ibrahim reprit bientôt l’offensive il rétablit les affaires dans le Téhama, mais sans entamer l’Acyr.

En 1837, au moment où un voyageur français, M. Botta, visitait l’Yémen, les Égyptiens n’avaient fait encore aucun progrès dans l’intérieur ; mais ils se préparaient à y pénétrer en profitant des discordes des chefs indigènes[1]. En 1839, les Anglais s’emparèrent d’Aden. Cet événement n’eut pas une influence immédiate sur les destinées de l’Yémen. Au commencement de l’année 1840, les Égyptiens se disposaient à évacuer l’Yémen comme le reste de l’Arabie. L’iman de Saana était trop faible pour remettre tout le pays sous

  1. Quelques détails empruntés au récit de ce consciencieux observateur nous feront connaître les mœurs politiques de cette partie de l’Arabie. Le jeune iman qui régnait alors à Saana s’appelait Al-Mansour. C’était un homme de trente-cinq ans environ, qui s’était rendu odieux dans tout l’Yémen par la faiblesse de son gouvernement et par ses vices ; il était particulièrement adonné à l’ivrognerie. Son œil louche avait une expression sinistre. M. Cruttenden, de l’armée des Indes, qui visita Saaxa en 1836, constata que cette cour était bien déchue de son ancienne splendeur. Saana avait toujours passé pour la ville des plaisirs. À cette époque du moins, les goûts des habitans n’avaient rien de délicat ; leurs divertissemens consistaient principalement dans l’ivrognerie et les spectacles licencieux. L’oncle de l’iman, nommé Kassim, aspirait à remplacer son neveu et s’était mis en révolte contre lui dans la ville de Taez. Ce personnage fut visité par M. Botta en 1837, au moment même où il se préparait à attaquer l’iman. « Il habitait par humilité une toute petite chambre dans les combles de sa maison. Cet homme, voulant supplanter son neveu, odieux par des débauches de tous les genres, avait jugé à propos de se concilier l’estime publique par une conduite opposée. Il affectait une grande piété, s’habillait simplement, priait continuellement et jeûnait toute l’année, c’est-à-dire que, selon l’usage des musulmans dans leurs jeûnes, il ne mangeait qu’après le coucher du soleil. Je le trouvai priant sur un modeste tapis. J’attendis debout qu’il eût terminé ses nombreuses génuflexions, après lesquelles il me fit asseoir, m’adressa d’une voix humble et doucereuse quelques questions, me parla avec tristesse de l’état misérable de son pays, de son amour pour le bien public, et de ses efforts pour faire refleurir l’ordre et la religion. »