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les principes poétiques qui justifient son caprice. Ces deux premières parties du livre Floréal et les Complications de l’idéal ne sont autre chose qu’une esthétique du genre essayé par le poète, esthétique d’ailleurs très sérieuse, quelque jugement qu’on porte sur l’application qu’il en a faite. M. Hugo engage ses lecteurs à ne pas s’effaroucher devant ses nouvelles poésies plus qu’ils ne s’effarouchent devant les poésies de Catulle, d’Horace ou d’Anacréon. Pour protéger l’inspiration du nouveau recueil, leur dit-il, je n’ai pas la ressource du prestige que donne le passé. Quand nous lisons les anciens, nos imaginations obéissent à une sorte d’illusion charmante qui leur fait croire que l’origine des poésies consacrées par l’admiration des siècles fut plus noble que celle des poésies fraîchement écloses de l’heure présente. Eh non ! ces poésies anciennes eurent leurs racines dans la même réalité vivante que les nôtres, elles furent pétries de la même matière animée :

La nature est partout la même,
A Gonesse comme au Japon.
Mathieu Dombasle est Triptolème,
Une chlamyde est un jupon.


La noblesse que nous leur découvrons n’était pas en elles-mêmes, c’est le poète qui la leur a donnée par son génie et par son amour. À cette noblesse d’adoption s’est ensuite ajoutée celle que leur a faite le temps. Débarrassez Lesbie, Chloé, Glycère, Lydie, Néère et tutte quante, des quatre-vingts ou des cent quartiers d’admiration que leur ont faits des générations innombrables de lecteurs, et dites-moi en quoi de leur vivant elles étaient plus nobles que Rose, Jeanne ou Marton, vos contemporaines ! Ce sont aujourd’hui des statuettes charmantes, des figurines d’une délicatesse exquise ; mais avaient-elles été créées ainsi par la nature ? Pour moi, je crois très fort que la nature n’avait rien fourni de plus pour elles que pour Rose et Marton, qu’aujourd’hui comme autrefois c’est toujours la même matière, le même kaolin, qu’elle offre au travail de l’artiste, et qu’elle ne fut pas plus généreuse en accordant Lesbie à Catulle et Lydie à Horace qu’en accordant aujourd’hui Jeanne au poète qui voudra la chanter. Le cadeau, croyez-moi, n’est point moindre, et si Jeanne n’a pas été promue à la dignité classique et reste une simple vilaine du royaume de la beauté, c’est qu’elle n’a pas trouvé son Catulle ou son Horace. Avec les pauvretés prétendues de notre vie actuelle, nous pouvons donc ressusciter toutes les grâces et toutes les élégances du passé, car les poètes du passé eurent tout juste les mêmes élémens de richesse que nous avons, les mêmes, ni plus ni moins. Nous nous rendons les dupes des mots en leur