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La mesure du vers d’Eschyle
Est le battement de son pied.

Bref, une vraie monture pour un Titan ou pour Victor Hugo. Le poète a rendu avec une énergie d’effort égale à l’énergie de résistance du cheval la lutte qu’il lui faut entreprendre pour le faire consentir à se mettre au vert dans le pré fleuri de l’idylle :

Le cheval luttait ; ses prunelles,
Comme le glaive et l’yatagan,
Brillaient, Il secouait ses ailes
Avec des souffles d’ouragan.
Il hennissait vers l’invisible,
Il appelait l’ombre au secours ;
A ses appels le ciel terrible
Remuait des tonnerres sourds.


Terrible lutte et qui symbolise à merveille l’effort que le poète a dû faire sur lui-même pour contraindre sa robuste imagination à ramasser pendant tout un long volume les fleurettes qui forment la végétation du pré charmant couleur de songe de l’idylle ! Remarquez bien cette résistance acharnée de Pégase : elle a, me semble-t-il, laissé ses traces dans l’œuvre entière. Mis à la longe, il a mordu de ses dents tranchantes l’écorce des jeunes arbrisseaux ; il s’est roulé furieux sur la prairie, et de son sabot vigoureux il a écorché à maint endroit l’épiderme gazonné du sol. Aussi faut-il voir avec quelle joie farouche il reprend son vol lorsque le poète le délivre de cette contrainte à la fin du volume pour le rendre au génie des sombres visions. Le mouvement de cet essor lyrique est vraiment prodigieux. Les énormités d’expression abondent dans cette dernière pièce, mais c’est à peine si l’on a le temps de les remarquer, tant la vitesse du monstre est grande ! Incohérences d’images, antithèses monstrueuses, épithètes étranges disparaissent comme des points noirs à l’horizon, comme de vagues lumières lointaines, devant cette course vertigineuse que rappelle seule la course de la locomotive lancée à pleine vapeur. Ce galop effréné, implacable, à travers les étoiles et les comètes, est plein de fumeuses beautés, à demi sinistres, à demi rayonnantes.

Monstre, à présent reprends l’on vol !
Approche que je te déboucle.
Je te lâche, ôte ton licol ;
Rallume en tes yeux l’escarboucle.
Quitte ces fleurs, quitte ce pré.
Monstre, Tempe n’est point Capoue.
Sur l’océan, d’aube empourpré,
Parfois l’ouragan calmé joue.