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en l’honneur de Laure, parce que la source de leurs inspirations, sortant d’eux-mêmes, était intarissable comme celles de leurs fontaines de Bandusie et de Vaucluse ; mais s’ils avaient dû se borner à faire une peinture générale de ces sentimens qui étaient leur vie, s’ils avaient simplement voulu donner des expressions de l’épicuréisme élégant et de l’amour mystique, ils auraient bien vite trouvé les limites de leur inspiration, et il est douteux qu’elle eût été assez abondante pour fournir la matière des odes ou des canzoni. L’épicuréisme voluptueux, l’amour mystique, n’étaient pas pour Horace et Pétrarque des fantaisies passagères de leur imagination, c’était ce qu’il y avait de plus permanent dans leur nature. C’est au contraire par occasion et par caprice passager que M. Hugo s’est fait voluptueux et fringant ; la sensualité qu’il a chantée dans son nouveau recueil n’est qu’un thème poétique auquel il ne pensait pas hier, qu’il abandonnera demain pour ne plus jamais le reprendre, qu’il n’a un instant accepté que pour nous montrer son savoir-faire dans les genres les plus divers. Une pareille fantaisie ressemble fort au caprice en amour. Au moment où elle s’échappe toute brillante et vivante de l’âme du poète, elle peut bien donner naissance à deux ou trois jolies pièces ; mais comme elle se refroidira vite, n’étant alimentée par aucune flamme intérieure durable, elle fournira difficilement l’inspiration d’un gros volume. Alors il faudra froisser, violenter, surmener en quelque sorte ce frêle papillon de l’âme, qui ne s’était échappé que pour briller un instant à la lumière et disparaître ensuite ; il faudra le forcer à voler lorsque le pollen sera déjà effacé de ses ailes, que quelques essors rapides auront suffi à épuiser et à ternir ; en termes plus vulgaires, il faudra se condamner à se répéter pour tenir jusqu’au bout la gageure qu’on s’est faite de prolonger sa fantaisie plus longtemps qu’elle ne veut être prolongée. Les inspirations du poète sont soumises aux mêmes lois naturelles qui proportionnent la durée des êtres à leur importance ; le chêne verdit pendant un siècle, les roses fleurissent un printemps, les libellules sont créées pour raser pendant quelques semaines la surface des ruisseaux, les éphémères pour vivre un jour auprès de leur fleuve Hypanis, et les caprices fortuits de la sensualité pour dicter quelques inspirations charmantes et puis s’évanouir.

La sensualité est par elle-même singulièrement inféconde lorsqu’on la fait sortir de son domaine des sens et de la matière, et qu’on essaie de la prendre pour source d’inspiration. Elle peut être une très divertissante camarade dans la vie réelle ; mais en poésie c’est une muse très stérile qui ne pousse ses protégés ni très loin, ni très haut. Plusieurs fois elle a trouvé des expressions charmantes