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vre nouvelle a des défauts tellement accusés, la végétation des excentricités y pousse si drue et si abondante, l’imagination s’y blesse à des houx si piquans, on s’y heurte à tant de métaphores rugueuses, que peu de lecteurs sont tentés d’admirer les fleurs charmantes qui étoilent ces ronces et la fraîche verdure qui témoigne de la sève puissante qui a fait croître et qui alimente ce hallier sauvage. Peu de gens en effet sont tentés de s’extasier devant un paysage lorsqu’ils viennent de s’enfoncer une épine dans le pied ; le Buisson de Ruysdaël lui-même nous inspirerait un tout autre sentiment que celui de l’admiration, si nous venions de nous déchirer à ses broussailles, et il n’est aucun de nous qui n’ait jeté une rose avec colère lorsqu’elle lui avait piqué les doigts. Il n’y a pas à dire, on est en mauvaise disposition pour accueillir la plus fraîche strophe lorsqu’on vient d’être terrassé par une plaisanterie énorme du genre de celle-ci :

On entendait Dieu, dès l’aurore,
Dire : « As-tu déjeuné, Jacob ? »


On est peu préparé à goûter des métaphores dignes des féeries de Shakspeare lorsqu’on vient de se buter contre des calembredaines dignes des féeries du Pied de mouton et des sept Châteaux du Diable, comme la suivante :

Tout aimait, tout faisait la paire,
L’arbre à la fleur disait : Nini.
Le mouton disait : « Notre Père,
Que votre sainfoin soit béni ! »

Si nous venons d’entendre l’oiseau rire du prix Monthyon, nous trouverons fort intempestive la visite immédiate d’une pensée élevée, et l’enseignement le plus austère sera auprès de nous le très mal venu, s’il se présente au moment où nous venons d’apprendre avec une stupeur très compréhensible que

Les craquemens du lit de sangle
Sont un des bruits du paradis.

Je vois donc peu de personnes disposées à rendre justice au fourré touffu des Chansons des Rues et des Bois. Je constate même un penchant à la disposition contraire, que je regrette sans trop m’en étonner. Il y a cependant un moyen d’admirer un fourré, fût-il plus épineux encore que celui de M. Victor Hugo, et ce moyen, c’est tout simplement d’en faire le tour sans s’y engager, de manière à contempler les fleurs sans s’accrocher aux ronces. C’est celui que nous emploierons.

L’origine de l’inspiration générale du volume nous donnera la clé des nombreux défauts que nous venons de signaler, et qui sont en